En observant ces histogrammes, on comprend que la répartition des données en fonction des trois catégories "début", "milieu" et "fin" a un effet significatif sur le nombre de SCN restituées, quel que soit le texte. Cette significativité, en effet, est présente tant dans le PCR (F(2,162) = 6,598 ; p = 0,001) que dans DAN (F(2,162) = 22,187 ; p < 0,0001). Cependant, ces degrés ne signifient pas que les effets sériels se retrouvent dans les deux textes observés ici. En privilégiant la variable "texte" c'est-à-dire en confondant les différentes tranches d'âge, on obtient, en effet, les deux figures très schématiques suivantes :
Dans le cas du texte [– connu], on retrouve parfaitement le "U à la branche droite plus courte" définit par Lieury (1975) au sujet des effets de primauté et de récence, et ce, de manière significative comme en témoignent les valeurs de p présentes sur les figures 14 et 15.
Comme le définissait l'aperçu théorique (cf. chapitre 1), dans une visée associationniste, on peut dire qu'en phase d'écoute et donc de compréhension, les liens existant entre les différents éléments de l'histoire ont été détectés et stockés en mémoire par les sujets qui savaient qu'ils avaient à restituer le récit.
Cependant, nous avons expliqué que ce système de "boucles" conduit inévitablement à une saturation et que, par conséquent, l'établissement de liaisons nouvelles a, au bout d'un moment, un effet inhibiteur sur les liaisons ultérieures (i.e. interférence proactive) et sur les liaisons antérieures (i.e. interférence rétroactive). Nous avons également précisé que cette hypothèse d'interférence est à considérer en doublon avec le fait qu'il y a, lors de tâches de rappel immédiat, mobilisation de différents registres mnémoniques : si le début de l'histoire est déjà intégré en mémoire à long terme, la fin est encore en mémoire à court terme.
Certes, il peut paraître surprenant que l'on considère la fin de DAN comme encore en mémoire à court terme étant donnée la longueur du texte à restituer mais, présente lors de l'expérimentation, nous avons pu constater que les sujets ne se mettaient pas à écrire immédiatement après l'écoute du support auditif comme cela était le cas pour le PCR. Certains commentaires métacognitifs répondant toujours à la question : "Comment as-tu fait pour écrire le plus important ?" témoignent de cette remarque :
Aussi les sujets semblent-ils avoir mis à profit cet intervalle de temps pour réfléchir au contenu qu'ils avaient à mettre en mots et à ce moment-là, c'est-à-dire quelques secondes seulement après l'arrêt de la bande sonore, il est évident que la fin du récit était encore en mémoire à court terme. Diverses expériences ont, en effet, montré que la mémoire à court terme avait une capacité non pas de quelques minutes mais de quelques secondes seulement (Lieury, 1975). Nous pensons donc qu'en situation de rappel de DAN, les deux hypothèses avancées précédemment se cumulent pour donner lieu à une restitution qui prend la forme du "U à la branche droite raccourcie". Sur la base de ces différentes observations, nous confirmons donc les travaux précédemment menés tant au niveau linguistique qu'au niveau psycho-cognitif.
Dans le cas du PCR, l'interprétation des résultats est beaucoup plus délicate. L'histoire étant connue des sujets avant l'écoute faite en phase de préparation, on aurait pu s'attendre — comme le supposait la première hypothèse prédisant que les deux supports auditifs, envisagés au niveau des divers moments de la trame narrative, seraient différemment restitués — à ce que le début, le milieu et la fin du récit soient tous aussi bien restitués les uns que les autres car tous intégrés en mémoire à long terme. Or, ce n'est pas le cas étant donné que la fin est significativement moins bien rappelée que le début et le milieu.
On peut alors émettre l'hypothèse, mais rappelons que ces résultats sont ceux obtenus toutes tranches d'âge confondues, que les effets sériels combinés au trait [+ connu] font ressortir les difficultés liées à l'activité grapho-motrice. En effet, bien que les sujets connaissent déjà l'histoire, l'expérimentation voulait qu'ils la réécoutent et ces deux conditions réunies donnent lieu à des débuts de récit extrêmement développés comme le montre, par exemple le texte de LAU 8G5E1 (35) qui consacre, sur 35 clauses, 20 clauses à la restitution des cinq premières SCN. On peut expliquer ce comportement scriptural en considérant que le début — déjà en mémoire à long terme du fait que l'histoire soit déjà connue — l'est encore plus du fait de l'effet de primauté. Aussi les sujets commencent-ils par réécrire le conte dans ses moindres détails tout en prêtant une attention particulièrement forte à la tâche d'écriture. Sur la base de ces considérations, on peut alors comprendre que plus les sujets avancent dans l'histoire, plus cet effort d'attention, requis par le travail d'écriture, conduit à une surcharge cognitive, à une saturation qui affecte alors la production graphique et mène les sujets à expédier leur travail.
Pour résumer les différentes remarques évoquées et répondre à l'hypothèse testée ici, nous pouvons dire que lorsque le matériel à restituer est caractérisé par le trait [– connu], les rappels obéissent à la théorie des effets sériels alors que la restitution d'un modèle [+ connu] et, par conséquent, déjà intégré, dans sa totalité (i.e. début, milieu et fin du récit), en mémoire à long terme, fait ressortir les difficultés liées à la non-automatisation de l'activité grapho-motrice .
Pour d'autant plus marquer la différence de restitution des différents moments de l'histoire selon que le récit est connu ou non, nous avons effectué un test statistique visant à comparer, pour les deux récits, les taux de rappel de ces trois différents passages. Celui-ci révèle que les débuts et les fins des deux histoires sont restitués de manière comparable : les différences observées étant non significatives. En revanche, les proportions de rappel présentent un écart largement significatif pour ce qui concerne la partie centrale du récit (p < 0,0001).