Ce chapitre a envisagé la restitution des 16 SCN du PCR et de DAN sous trois angles : celui de la quantité de SCN restituées, celui de la répartition de ces restitutions et, enfin, celui de l'ordre dans lequel se sont effectués ces rappels. Chacun de ces axes d'analyse a considéré les données en fonction du texte et en fonction de l'âge des sujets. Ces préoccupations ont permis de confirmer ou d'infirmer les différentes hypothèses posées dans ce chapitre. Chacun de ces points avait soulevé quelques interrogations auxquelles les analyses quantitatives et qualitatives ont amené une réponse.
En ce qui concerne le nombre de SCN restituées, le corpus a été envisagé selon deux points de vue : le premier considère les textes toutes SCN confondues alors que le second les observe SCN par SCN.
En ce qui concerne les SCN envisagées globalement, nous avons voulu tester trois hypothèses : premièrement, nous nous sommes demandé l'influence qu'allait avoir le trait [+ connu] sur la quantité de SCN rappelées. Nous pensions que le récit du PCR serait plus complètement restitué que l'histoire de DAN en raison de cette caractéristique [+ connu] : le fait d'avoir fréquemment entendu, lu ou même visionné le conte aurait dû permettre une facilitation de l'activation du contenu en mémoire. Les résultats obtenus confirment l'hypothèse car les restitutions, mesurées en nombre moyen de SCN rappelées, conduisent à une différence significative entre les deux supports auditifs observés, les SCN du PCR étant plus rappelées que celles de DAN.
Deuxièmement, nous avons posé que les jeunes sujets produiraient des histoires moins complètes que leurs aînés. Les analyses statistiques dévoilent que, en ce qui concerne la restitution du PCR, les sujets s'organisent selon deux groupes : les 6 ans restituent 5,6 SCN en moyenne et les cinq autres tranches d'âge 12,9. Pour ce qui est de DAN, on peut identifier quatre stades acquisitionnels : les 6 ans, qui rappellent seulement 3,8 SCN en moyenne, constituent le premier stade, les 7 et les 8 ans doublent cette reprise avec une moyenne de 9,1 SCN sur 16 et représentent donc le deuxième palier, le troisième stade correspond aux 9 et aux 10 ans qui contribuent à cette évolution en restituant 12,3 SCN et, enfin, les adultes se distinguent des enfants avec 14,6 SCN reprises sur 16. Autrement dit, l'hypothèse développementale est largement confirmée.
Troisièmement, nous pensions que plus on approcherait de l'âge adulte et moins les écarts entre le nombre de SCN restituées pour le PCR et pour DAN seraient significatifs, les plus grands étant moins sensibles au trait [+/– connu]. En effet, dès l'âge de 9 ans, cette différence n'est plus statistiquement significative. En revanche, pour les trois tranches d'âge précédentes, si les différences sont effectivement significatives pour les 7 et les 8 ans (i.e. [+ connu] = nombre de SCN restituées plus important), elles ne le sont pas pour les 6 ans.
Ce résultat des plus jeunes a mené à considérer la caractéristique [activité grapho-motrice +/– automatisée] comme prioritaire sur le trait [+/– connu]. En effet, nous posons que non-obnubilés par la tâche de tracé graphique, les enfants de 6 ans devraient se conduire comme les 7 et les 8 ans et donc donner lieu à un écart significatif entre le nombre de SCN restituées pour le PCR et celui rappelées pour DAN. Au sujet des 6 ans, nous pouvons rajouter que, même si la différence n'est pas significative, le nombre de SCN reste plus élevé dans la situation de rappel du PCR, ce qui nous permet de montrer que le trait [– connu] fait ressortir les difficultés liées au grapho-moteur. En effet, pour DAN, les sujets ont à gérer deux activités parallèlement : la première concerne, comme c'est le cas pour le PCR également, la bonne formation des lettres, des syllabes puis des mots et la seconde correspond à l'activation du contenu à restituer. Nous ne signifions pas, par là, que le PCR ne fait appel à aucune activation informationnelle mais l'ensemble de la trame narrative étant déjà intégrée en mémoire à long terme, sa récupération donne lieu à un travail cognitif moins coûteux.
Au sujet du rappel de chacune des SCN du PCR et de DAN, une seule hypothèse a été expérimentée : du fait que les SCN n'aient pas toutes la même importance au sein des histoires (i.e. effet de niveau), nous pensions que certaines seraient moins bien restituées que d'autres. Cette hypothèse a été confirmée pour le PCR : deux SCN sont significativement moins bien rappelées par toutes les tranches d'âge d'enfants et ces deux SCN correspondent à celles jugées essentielles par seulement 50 % des étudiants-juges. Pour DAN aussi, quelques SCN ne sont pas autant rappelées que les autres mais cela s'explique par le fait qu'elles sont moins importantes pour l'avancement de la trame narrative. L'explication est à chercher du côté des travaux effectués en psychologie sur les effets de primauté et de récence.
Concernant justement ces effets de primauté et de récence ou effets sériels, trois hypothèses ont été expérimentées. La première dépend de la propriété [+/– connu] et postule que les effets sériels seront plus saillants dans le support [– connu] qui correspond parfaitement aux expériences menées avec les listes de mots. À la suite des résultats, nous pouvons, à présent, confirmer cette hypothèse : si, pour DAN, le début est significativement plus restitué que le milieu qui est, à son tour, moins rappelé que la fin, pour le PCR en revanche, c'est et le début et le milieu qui sont significativement mieux restitués que la fin. Précisons alors que, pour cette première hypothèse, le fait de prédire que le PCR ne serait pas touché par les effets sériels impliquait que les trois moments de l'histoire du PCR seraient également rappelés en raison du fait que la totalité du récit est inscrite en mémoire à long terme. Cependant, cet aspect est infirmé car nous avons vu que la combinaison des effets sériels et du trait [+ connu] conduisait à un épuisement de l'activité grapho-motrice : les sujets, absorbés par l'inscription de détails, épuisent leur potentiel d'écriture avant même d'être parvenus à la moitié de l'histoire. Ces résultats montrent que la restitution d'un récit [+ connu] ne repose pas sur les mêmes activités cognitives que le rappel d'une histoire [– connu] : dans le premier cas, les sujets ont à gérer leur "débit" d'écriture afin de ne pas charger le début et négliger la fin alors que, dans le second cas, ils ont à se concentrer sur l'activation du contenu narratif.
La seconde hypothèse envisageait le corpus dans une perspective acquisitionnelle. Pour le PCR, nous avons dégagé deux profils développementaux : les 6, les 7, les 8 et les 9 ans, d'un côté, et les 10 ans et les adultes, de l'autre. Pour ces quatre classes d'âge constituant le premier palier, le début et le milieu sont significativement plus rappelés que la fin, ce qui n'est plus le cas du second palier : il faudrait donc attendre l'âge de 10 ans pour constater une automatisation de l'activité grapho-motrice. Pour le deuxième profil, celui rassemblant les 10 ans et les adultes, le moment de l'histoire le mieux restitué est non plus le début mais le milieu et ce, de manière significative pour les adultes. Nous avons interprété cette différence comme une prise en compte d'un composant essentiel à tout récit, à savoir l'action. Nous avons, en effet, montré qu'il y avait corrélation entre les SCN constituant le milieu de l'histoire et l'accélération de celle-ci. Nous avons mis ces résultats en corrélation avec ceux effectués sur la définition de l'action comme élément essentiel et nécessaire à toute narration (Espéret, 1984 ; Revaz, 1997).
Pour DAN, toutes les tranches d'âge affichent le "U à la branche droite raccourcie" mais les degrés de significativité observés nous autorisent à répartir les 60 sujets selon trois stades développementaux : pour les 6, les 7, les 8 et les 9 ans, les seules différences significatives apparaissent entre le rappel du début et celui du milieu de l'histoire, le premier groupe de SCN étant mieux restitué que le second. En revanche, les sujets âgés de 10 ans rappellent, eux aussi, significativement plus le début que le milieu mais, chez ces sujets, la fin est également mieux restituée que le début. Pour les adultes, ces différences, quelles qu'elles soient, ne sont plus significatives car, et au contraire de leur cadets, ces sujets accentuent le milieu du récit. Aussi les enfants de 10 ans ont-ils été définis comme un stade transitoire entre les plus jeunes et les adultes, en montrant que la fin de l'histoire se développait avant le milieu. Autrement dit, pour les deux histoires, l'hypothèse développementale postulée au sujet des effets de primauté et de récence est confirmée.
Enfin, la dernière hypothèse concernant les effets sériels est validée également : il existe bien un âge, l'âge adulte, où l'on restitue pareillement un support, qu'il soit [+/– connu].