CONCLUSION

Les deux chapitres ayant constitué cette partie consacrée à l'observation de la mise en place de la structure textuelle narrative ont permis de pointer des difficultés liées à la non-automatisation de l'activité grapho-motrice.

La partie du chapitre 4 traitant de la restitution des deux supports auditifs toutes CN confondues, montre que les sujets sont gênés par le coût du tracé graphique jusqu'à l'âge de 7 ans, mais dès lors que l'on observe chacune de ces trois CN, on constate que les problèmes liés au maniement du code graphique perdurent jusqu'à l'âge de 9/10 ans.

Le chapitre 4 renforce cette conclusion car les SCN sont aussi bien restituées dans le PCR et dans DAN à partir de 9 ans seulement et les effets sériels affectent les enfants jusqu'à 10 ans.

Le fait que les enfants de 6 ans soient les seuls à afficher, d'une part, une différence significative entre le rappel des CN du PCR et le rappel des CN de DAN et, d'autre part, une différence importante, même si elle n'est pas significative, entre le nombre moyen de SCN restituées pour le PCR et pour DAN (i.e. 5,6 pour le PCR et 3,8 pour DAN) conduit à s'interroger sur le degré de compréhension de l'histoire : les enfants de 6 ans ont-ils réellement compris l'histoire de DAN ? Rappelons que les études menées en compréhension (Paris et Upton, 1976 ; Trabasso et Nicholas, 1980 ; Goldman et Varnhagen, 1983 ; Karmiloff-Smith, 1983 ; Freebody et Anderson, 1983 ; Fayol, 1985) ont constaté que cette compétence se développe extrêmement lentement et qu'il faut faire attention au fait que "les épreuves de rappel, même lorsqu'elles sont réussies, n'impliquent pas nécessairement que les sujets ont compris les récits" (Fayol, 1985 : 85).

En effet, certains enfants de 6 ans mentionnent des événements qui ne sont pas dans l'histoire initiale (ex. [III.C.1] et [III.C.2]) et d'autres exploitent un détail effectivement présent dans le récit mais cette sélection les fait dériver vers une nouvelle trame qui n'a plus rien à voir avec la trame proposée en phase de préparation au travail d'écriture (ex. [III.C.3] et [III.C.4]) :

[III.C.1] JEA 6G5E2 (6)
1. il etait une fois un petie chacere.
2. ci ne vouler pas renconter son nami la <petie> petite indiène.
3. mai la <pe> <rneconc> rencontre.
4. elle lui demenda
5. de lui aporter un renâre.
6. est <r> rencontre une béte aux neie blanc est la fourure rouge.

Ici, la clause (2) relève de l'imagination de l'enfant. À aucun moment de l'histoire, cette proposition n'est formulée, ni même sous-entendue.

[III.C.2] WIL 6G7E2 (4)
1. lindiéne de mande <à> <a pet> o petit chaser.
2. ge ve une pau de renar.
3. pour fére un <manto> mantau
4. le renor à atrape <o> le porchépi.

Dans cet exemple, l'enfant confond le renard et le trappeur si bien que le porc-épic se fait capturer par l'animal plutôt que par DAN. Certes, cette erreur peut relever d'un manque d'attention plutôt que d'être la preuve d'une non-assimilation de l'histoire.

[III.C.3] CLE 6F8E2 (7)
1. le petit renare aitai assi
2. et lomme dit :
3. tu vois se renare
4. oui dit lomme
5. il faut luit <fau> fauderé lui faute desu
6. dit lomme
7. et ils tonba dans le pieije.

En (1) et en (7), l'enfant pose des éléments effectivement présents dans le texte à restituer : "Il (le renard) s'assit là où Dan avait posé la trappe" et "Mais avant qu'il eût atteint le renard, il tomba dans la trappe". Seulement, entre ces deux clauses, le contenu narratif à restituer est inexistant : il n'y a plus de trappeur et il n'y a pas non plus de porc-épic. Ces deux personnages ont été remplacés par deux hommes en train de discuter au sujet du renard assis. Dans l'absolu, ce texte est cohérent : un renard est assis, deux hommes l'aperçoivent, veulent l'attraper et finalement, tombent dans un piège. En revanche, on ne reconnaît pas l'histoire de DAN.

[III.C.4] ROX 6F3E2 (12)
9. il poura <aire> aitere contante
10. et on poura se marié
11. et <fait> faire un bêbê.
12. et on poura manjai du <rona> ronare

Ici aussi, le contenu informationnel véhiculé par les quatre dernières clauses est bien éloigné de celui du support auditif : tout se passe comme si l'enfant cherchait à appliquer une fin heureuse du type "conte" (Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants) à une histoire qui ne s'achève pas ainsi. À ce propos, nous pouvons reprendre une étude de Piaget (1923) qui a étudié comment les enfants rappelaient un conte : l'auteur montre qu'avant l'âge de 7 ans, les sujets tendent à déformer l'histoire originale et il interprète ce résultat par le fait de "l'égocentrisme de leur pensée" (cf. chapitre 1).

La figure 19 résume l'ensemble de ces remarques :

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Figure 19 : Problèmes rencontrés par les différentes tranches d'âge lors de la restitution de DAN.

Autrement dit, la non restitution d'une proposition s'explique de différentes manières :

  1. soit la proposition en question est moins essentielle à l'avancement de la trame narrative que certaines autres (i.e. SCN IX et XI du PCR).

  2. soit la proposition est essentielle mais se situe au milieu de l'histoire et subit donc les effets sériels (i.e. SCN VII, VIII et IX de DAN).

  3. soit la proposition est essentielle mais se situe à la fin de l'histoire et est alors victime de l'épuisement de l'activité grapho-motrice (i.e. CN III du PCR et de DAN).

  4. soit la proposition est essentielle mais incomprise des sujets.

Même si certaines CN ou SCN sont plus ou moins restituées par les sujets, beaucoup le sont et cette troisième partie est, nous semble-t-il, une bonne illustration de ce que la théorie associationniste qualifie de "double-fonction" (i.e. B est réponse de A et stimulus de C). En effet, ces pages ont montré que, dans une narration, tout élément est la conséquence directe du précédent et devient la cause de l'élément suivant, chacun d'eux ne pouvant être supprimé sans que la trame textuelle s'en trouve affectée. Cela rappelle évidemment les études menées sur les chaînes causales (Bransford et Johnson, 1972 ; Mackie, 1974 ; Rumelhart, 1975 ; Kozminsky, 1977 ; Schank et Abelson, 1977 ; Black et Bower, 1980 ; Kieras, 1980 ; Sperry et Sperry, 1996 ; Fayol, 2000), études qui posent que les éléments essentiels correspondraient au but superordonné et aux différentes actions mises en jeu pour atteindre ce but. Au travers des productions des sujets, la partie suivante propose justement une analyse de cette chaîne causale, et ce, pour comprendre comment les sujets développent leur capacité à relier les événements selon certaines relations sémantiques.