Les hypothèses testées ici étaient très semblables aux hypothèses expérimentées dans le chapitre précédent. D'ailleurs, avant de commencer à les passer en revue, il est important de préciser que l'infirmation de certaines d'entre elles s'explique, comme dans le chapitre 6, par des valeurs d'écarts-types plus que conséquentes, et il faut donc être extrêmement prudent quant aux conclusions formulées.
Pour ce qui est du corpus considéré tous moyens de connexion confondus, la première hypothèse consistait à dire que la restitution du PCR faciliterait l'insertion de RCC en raison du trait [+ connu] qui le caractérise. Cette hypothèse a été invalidée car la différence n'est pas significative, mais en dépit de cet écart non pertinent statistiquement, c'est le texte [– connu] qui affiche le nombre le plus élevé de RCC ajoutées. Pour interpréter ce résultat, nous avons émis l'hypothèse que l'introduction de RCC aiderait à l'écriture d'un texte, c'est-à-dire que relier les éléments par des marques causales faciliterait la restitution, chaque élément en appelant naturellement un second, puis un troisième, etc., et cette aide n'aurait pas besoin d'être activée lors de la réécriture de l'histoire [+ connu], celle-ci étant préalablement pré-organisée.
La deuxième hypothèse abordait les données dans une perspective plus développementale : en raison de l'ordre d'acquisition des différentes relations sémantiques, on peut penser que celle de cause/conséquence ne sera introduite que tardivement, car les plus jeunes sujets lui préfèreront celle de séquentialité, également essentielle à l'avancement de la trame narrative. Cette hypothèse est confirmée : les pourcentages de RCC ajoutées se développent progressivement de 6 ans à l'âge adulte, si progressivement d'ailleurs que nous n'avons pu isoler aucun palier acquisitionnel.
Pour répondre à la dernière hypothèse, nous avons observé la combinaison des deux variables testées précédemment, à savoir celle du texte et celle de l'âge. Même si aucune différence n'était significative entre le nombre de RCC ajoutées dans le PCR et celui de RCC ajoutées dans DAN, nous avons pu définir deux stades acquisitionnels : les 6 et les 7 ans se comportent de manière identique et à l'opposé des 8, des 9, des 10 ans et des adultes qui constituent, ensemble, le second palier. Chez les 6 et les 7 ans, c'est le PCR qui fait le plus appel aux marques causales et pour les quatre autres tranches d'âge, c'est DAN. Malgré cette différence de profil, on peut appliquer, dans les deux cas, l'interprétation émise par rapport aux résultats obtenus précédemment, c'est-à-dire que l'insertion de RCC aiderait à "faire grandir" le texte. Cependant, le recours à ce type de marques a lieu si et seulement si la production atteint une longueur minimale et/ou l'activité de récupération relève d'une certaine complexité conceptuelle. Si ces deux conditions sont réunies dans DAN chez les grands, elles le sont dans le PCR chez les petits. En effet, les 6 et les 7 ans ne restituent pas assez de l'histoire de DAN pour avoir besoin de tels outils d'enchaînement. Dans cette optique, rappeler le conte du PCR semble être une activité plutôt complexe pour les plus jeunes sujets puisqu'ils ont recours aux RCC.
Au sujet des moyens de connexion utilisés pour marquer ces RCC ajoutées, seules la coordination et la subordination fléchie et non fléchie ont été observées et, pour leur analyse, nous avons, de nouveau, testé trois hypothèses.
Comme il en a été du chapitre précédent, les marqueurs employés ne sont pas plus intégrés en situation de restitution du texte [+ connu] (i.e. infirmation de la première hypothèse) et ce constat s'applique à chacune des tranches d'âge (i.e. infirmation de la troisième hypothèse).
En revanche, l'hypothèse développementale a été confirmée puisque la variable "âge" a, pour ces deux outils de connexion, un effet significatif sur le nombre de RCC exprimées au moyen de ces marqueurs : les sujets en utilisent de plus en plus de 6 ans à l'âge adulte. Cependant, les données, dans un cas comme dans l'autre, n'ont pas permis l'identification de différents paliers.
En revanche, en examinant les formes utilisées pour rendre compte de la coordination, on a constaté que deux marqueurs étaient bien plus représentés que les autres : il s'agit de la conjonction de coordination "car" et de l'adverbe conjonctif "alors". "Alors" est, en effet, très utilisé, tant dans le PCR que dans DAN, mais il faut rappeler que si cet adverbe peut véhiculer une valeur causale, il peut également marquer la séquentialité. Aussi, si ces nombreux "alors" sont séquentiels dans la tête des sujets, est-il normal qu'ils en utilisent beaucoup car cela les aiderait à se souvenir de "ce qui vient après". En outre, il est d'autant plus probable que ces "alors" soient séquentiels pour les sujets du fait que la relation sémantique de séquentialité soit acquise antérieurement à celle de cause/conséquence. Cependant, étant données les propositions qu'ils relient, le lecteur les interprète comme causaux.
"Car" se rencontre, au contraire, beaucoup plus dans les restitutions de DAN que dans celle du PCR (i.e. 4 fois plus). Comme "alors", "car" véhicule une valeur causale mais également une valeur explicative, et nous avons alors émis l'hypothèse que les sujets devraient être, en situation de restitution du texte [– connu], plus soucieux de bien expliciter les différentes situations, pensant peut-être que le destinataire du message a, lui aussi, entendu le récit une seule fois et ne le connaît donc pas mieux qu'eux au moment de la lecture des productions rendues. Cette interprétation a rappelé les travaux effectués sur ce que les auteurs nomme "connaissance partagée" (Bernstein, 1971 ; Kail et al., 1987 ; Hickmann, 1991 ; Kail et Hickmann, 1992) : les outils linguistiques diffèrent selon que le sujet pense que l'auteur connaît ou ne connaît pas l'histoire au préalable.
Pour ce qui est de la subordination fléchie ou non fléchie, les nombres de RCC exprimées au moyen de ces outils sont tellement faibles qu'aucune conclusion n'a été formulée.