1.3.2. Les mots lexicaux et les mots grammaticaux

La différence fondamentale opposant ces deux groupes de mots est que les items lexicaux correspondent aux items de classe ouverte, c'est-à-dire que la liste établie accepte l'introduction de nouveaux mots33. Pour cette raison, l'ensemble de ces mots est pratiquement impossible à délimiter dans une société et à une époque donnée. Outre ces problèmes d'estimation, les items lexicaux échappent à toute tentative de structuration exhaustive et systématique.

Les items grammaticaux, quant à eux, constituent des "séries fermées", c'est-à-dire qu'ils se regroupent en petits ensembles faciles de délimitation et de structuration, étant donné que l'introduction de nouveaux termes est extrêmement rare.

En plus de cette appartenance aux classes ouverte ou fermée, Givón (1984) propose un inventaire des caractéristiques propres à chacun des deux ensembles qui peuvent être, entre autre, la taille phonologique ou sémantique ou encore la fonction. Une observation des différents items montre, en effet, que les formes lexicales sont, en général, composées d'un nombre de phonèmes plus important que les formes grammaticales : c'est ce que Givón (1984) appelle la taille phonologique.

Pour ce qui est de la taille sémantique, les items lexicaux ont tendance à véhiculer des traits hautement spécifiques et sont donc sémantiquement plus riches que les mots grammaticaux.

Il est important de préciser que cette opposition a conduit les non-experts à penser que les mots lexicaux ont du sens alors que les mots grammaticaux n'en ont pas. Or, il n'en est rien. Rémi-Giraud et al. (1988) expliquent clairement que les mots lexicaux et les mots grammaticaux véhiculent tous deux du sens mais qu'il ne s'agit pas du même sens : celui des items lexicaux est lexical tandis que celui des unités grammaticales est grammatical. Le sens lexical permet de structurer des notions relatives à la réalité du monde et le sens grammatical permet de structurer des relations relatives à la réalité du discours (Givón, 1984).

À cet inventaire de propriétés, nous pouvons ajouter celle de la fréquence c'est-à-dire que les items lexicaux et les items grammaticaux n'ont pas la même fréquence. Que l'on observe des listes propres à la langue orale (Gougenheim et al., 1964) ou des listes élaborées à partir de corpus écrits (Imbs et al., 1971), on constate que les items grammaticaux occupent le haut des listes de fréquence alors que les items lexicaux constituent le bas de ces mêmes listes.

Dans notre cas, nous pensons que le nombre d'items de moyenne et de basse fréquence autrement dit les mots lexicaux seront en nombre plus important dans les restitutions effectuées à partir du support [+ connu] que dans celles induites par le texte [– connu]. Cette prédiction s'explique par le fait que le trait [+ connu] libère de l'espace cognitif, ressources qui pourront être réinvesties dans l'activation d'items de basse fréquence. Ensuite, si l'on envisage le corpus dans une perspective plus développementale, on peut prédire que la sélection d'items de basse fréquence se développera avec l'âge, l'espace cognitif étant progressivement déchargé des contraintes liées au traitement des opérations dites de bas niveaux (i.e. graphisme par exemple). C'est sur ces deux hypothèses globales que sont construits les cinq chapitres à venir.

Le schéma suivant, emprunté à Gayraud (2000) et modifié pour les besoins de notre analyse, rassemble ces différents points :

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Figure 24 : Sélection lexicale préférentielle des items de haute et de basse fréquence en situation de restitution de l'histoire [+ connu] et en situation de rappel du récit [– connu] et en fonction de l'âge des sujets Précisons que la colonne de nombres figurant sous "Rang" correspond à une liste de fréquence décroissante : au rang 1 correspond l'item le plus fréquent et au rang 2560 correspond l'item le moins fréquent. .

Notre étude considèrera seulement les mots lexicaux, et ce, en raison de leur fort degré informatif. En effet, même si les items grammaticaux sont porteurs de sens, nous avons vu qu'ils participaient exclusivement à l'information propositionnelle et non à l'information lexicale et, étant donné que nous nous intéressons aux outils responsables de l'avancement de la trame narrative, nous préférons privilégier le sémantisme véhiculé par les mots lexicaux, les items grammaticaux contribuant seulement à l'agencement de ces derniers.

Notes
33.

Pour donner un seul exemple de ces introductions, on peut citer le verbe "faxer" qui, pour satisfaire de nouveaux besoins de communication, n'est apparu que très récemment dans les dictionnaires de langue française.

34.

Précisons que la colonne de nombres figurant sous "Rang" correspond à une liste de fréquence décroissante : au rang 1 correspond l'item le plus fréquent et au rang 2560 correspond l'item le moins fréquent.