Le cas des verbes

Le tableau 34 propose la proportion de verbes (total de verbes-vocables/total de vocables lexicaux*100) en fonction des deux variables "texte" et "âge".

Tableau 34 : Proportion de verbes, écart-type et centile en fonction du texte et de l'âge des sujets.
Texte Âge Proportion de verbes Écart-type Centile
10ème 90ème
PCR 6 ans 38,5 8 28,5 49,5
7 ans 48 5 42 55
8 ans 47 3,4 43 51
9 ans 46,5 4,3 41 52,5
10 ans 48 2,8 45 50,5
Adultes 48 5,3 42 55
DAN 6 ans 47 10,7 32,5 61,5
7 ans 51,5 5,2 44 57,5
8 ans 51 5,3 45,5 59,5
9 ans 51,5 4 46 56,5
10 ans 52 4,3 46,5 58
Adultes 48,5 3,9 43 52
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Graphe 21 : Proportion de verbes et écart-type en fonction du texte et de l'âge des sujets.

Pour les verbes, au contraire de ce qu'on a pu observer pour les noms, la combinaison des variables "âge" et "texte" a un effet non significatif sur la production de verbes. Ce résultat statistique est peu surprenant étant donné que les écarts significatifs observés entre groupes d'âge ne sont pas très importants. En effet, chez les 6, les 7, les 8 et les 10 ans, la valeur de p est égale à 0,04 ; seuls les 9 ans atteignent un degré de significativité plus important (p = 0,01).

Observées au niveau, non plus des vocables, mais des mots, ces quelques différences significatives disparaissent, ce qui témoigne, ici aussi, d'un fort taux de répétitions. Cette redondance est donc effective chez les enfants seulement car chez les adultes, que ce soit sur la base de vocables ou sur celle de mots, les différences entre les proportions de verbes dans le PCR et dans DAN mènent à des écarts non significatifs.

Nous émettons l'hypothèse que cette minorité de verbes différents dans le PCR pourrait être liée au contenu du récit lui-même. En effet, dans ce texte, il est fréquent que, d'une part, deux personnages fassent la même action ou que, d'autre part, le même personnage répète une action. En effet, et pour illustrer le premier cas de figure, rappelons que, par exemple, le loup prend/choisit un chemin et le PCR prend/choisit l'autre, que le loup arrive chez la grand-mère mais que peu de temps après le PCR y arrive à son tour ou encore que le loup entre dans la maison de la vieille dame et que le PCR y entre également, tous deux après avoir frappé, tiré la chevillette, fait choir la bobinette, etc. Pour rendre compte de la deuxième caractéristique propre au conte, nous dirons simplement que la grand-mère demande "Qui est là ?", que le loup imite la fillette, mange la grand-mère, qu'il demande, à son tour, "Qui est là ?" en imitant la vieille dame et qu'il mange aussi le PCR.

Le texte initial propose, pour certains de ces passages, des termes différents comme le montrent les extraits [V.8.6], [V.8.7] et [V.8.8] mais les sujets ne semblent pas réussir à diversifier les verbes décrivant ces actions :

[V.8.6] Texte initial (175)
55. Le loup se mit à courir de toutes ses forces sur le chemin
56. qui était le plus court
57. et la petite fille s'en alla par le chemin le plu long.
[V.8.7] Texte initial (175)
63. "Qui est là ?"
64. cria la grand-mère.
65. C'est moi, le Petit Chaperon Rouge,
66. dit le loup
67. en contrefaisant sa voix
92. "Qui est là ?"
93. demanda le loup
94. en imitant la voix de la grand-mère.
[V.8.8] Texte initial (175)
78. et se jeta sur la grand-mère
79. qu'il dévora en moins de rien.
121. qui fit un bond hors du lit
122. et avala le pauvre Petit Chaperon Rouge d'un seul coup.

D'autres extraits du texte initial montrent que l'auteur lui-même a recours à la répétition (ex. [V.8.9] et [V.8.10]) :

[V.8.9] Texte initial (175)
61. Pendant ce temps, le loup courait tout droit à la maison de la grand-mère
62. et frappa à sa porte.
90. Quelque temps après, elle se trouvait devant la maison
91. et frappa à la porte de celle-ci.
[V.8.10] Texte initial (175)
70. Tire la chevillette
71. et la bobinette cherra
98. Tire la chevillette
99. et la bobinette cherra.

De la même façon, l'auteur multiplie les occurrences des verbes "avoir" et "être" dans le dialogue opposant le PCR et sa fausse grand-mère.

[V.8.11] Texte initial (175)
109. "Comme vous avez de grandes oreilles, grand-mère !
110. C'est
111. pour mieux t'entendre, mon enfant.
112. Comme vous avez de gros yeux, grand-mère !
113. C'est
114. pour mieux te voir, mon enfant.
115. Comme vous avez de grandes mains !
116. C'est
117. pour mieux te prendre, mon enfant.

Certes, comme le montrent ces exemples, certains noms également sont soumis à répétition. Ce constat fait prendre conscience de l'investissement cognitif que représente leur diversification : les sujets auraient pu se contenter de faire comme l'auteur et multiplier les occurrences du même vocable.

Comme nous l'avons fait pour illustrer le taux de répétition des noms dans DAN, nous allons donner deux exemples représentatifs (ex. [V.8.12] et [V.8.13]) de chacun des profils dégagés par le graphe 21, c'est-à-dire que [V.8.12] correspond à un extrait de texte d'enfant et [V.8.13] a un extrait de texte d'adulte :

[V.8.12] WIL 8G3E1 (69)
31. et mangea tous <s> cru la vielle personne.
50. et le loup mangea l' <enfent> enfant.
[V.8.13] BER AG4E1 (117)
37. sauta sur la grand-mère,
38. et l'avala
39. sans même la macher
76. en dévorant le petit chaperon rouge si vite
77. que celui-ci n'eut le temps
78. de réagir.

Ces deux exemples montrent que là où l'adulte précise particulièrement finement les actions décrivant l'engloutissement du PCR et de sa grand-mère, l'enfant de 8 ans utilise le même verbe "manger". En revanche, on peut noter, et ceci renforce l'analyse effectuée sur les noms, que l'enfant veille à diversifier ses noms. Les syntagme nominaux "la grand-mère" et "le petit chaperon rouge" sont repris par anaphore lexicale : "la grand-mère" devient "la vieille personne" et "le petit chaperon rouge" devient "l'enfant". Cet exemple prouverait bien qu'une concentration sur la diversification des noms entraînerait une répétition des verbes.