RÉCAPITULATIF

Avant de se préoccuper de la densité lexicale des restitutions des sujets, nous avons montré que les supports initiaux avaient des densités lexicales similaires. Certes, nous avons expliqué que nous ne pouvions apprécier cette différence au niveau statistique du fait qu'aucun test ne peut être appliqué sur la base de deux valeurs mais les écarts enregistrés sont tellement minimes qu'ils suffisent à en déduire une telle conclusion. De même, si l'on envisage les histoires-supports par catégorie lexicale (i.e. noms, verbes, adjectifs et adverbes en –ment), on constate que les deux récits sont tout à fait comparables : calculée sur la base de vocables plutôt que de mots, la densité de verbes est plus importante que celle obtenue pour les noms et les adjectifs et les adverbes sont quasi inexistants dans les deux textes.

Aussi les différences notées entre les restitutions des enfants et des adultes ne sont-elles pas à allouer à des écarts trouvés dans les textes initiaux mais bien à des caractéristiques propres à chacun des supports soumis à restitution.

Pour la section qui a envisagé les catégories lexicales globalement (i.e. toutes catégories lexicales confondues), nous avons testé, comme il en est d'habitude, trois hypothèses : la première dépendait de la variable "texte", la seconde de la variable "âge" et la dernière reposait sur une combinaison de ces deux paramètres.

Premièrement, nous pensions que l'indice de densité lexicale serait plus important dans le PCR que dans DAN mais l'analyse statistique a infirmé cette hypothèse car ce sont les restitutions effectuées sur la base du support [– connu] qui se sont avérées plus denses lexicalement. Nous avons imputé cette observation au paramètre "connaissance partagée" (Berstein, 1971 ; Kail et al., 1987 ; Hickman, 1991 ; Kail et Hickmann, 1992), c'est-à-dire que les sujets, fermement convaincus que le destinataire du message écrit connaît, tout comme eux, le conte du PCR, n'auraient pas trouvé nécessaire de se perdre dans les détails tandis que, en situation de restitution du texte [– connu], il leur aurait apparemment paru utile d'expliciter les événements très précisément comme pour que le lecteur puisse mieux saisir chacun d'entre eux39.

Précisons que cette différence pourrait également s'expliquer par le fait le PCR favoriserait l'insertion d'anaphores pronominales de troisième personne, la densité lexicale chutant d'autant.

La deuxième hypothèse a été induite par quelques conclusions de travaux effectués sur la densité lexicale (Gayraud, 2000). Ceux-ci aboutissent au fait que la densité lexicale se développe avec l'âge et nous avons donc prédit que les productions des enfants de 6 ans seraient moins denses que celles des adultes. Cette hypothèse acquisitionnelle a également été infirmée, les jeunes enfants obtenant des indices de densité lexicale quasi égaux à ceux des plus âgés. Nous avons alors rappelé que nous travaillions en situation de restitution d'histoires alors que la littérature observée étudie des productions spontanées. Sur la base de ces considérations, nous en avons donc conclu que faire travailler des enfants sur des tâches de rappel activait l'insertion de vocables lexicaux responsables de la densité lexicale, et que les choix de méthode étaient, par conséquent, non négligeables car significativement influant sur la production.

La dernière hypothèse (i.e. différence de densité lexicale entre le PCR et DAN chez les jeunes sujets seulement) s'est vu modifiée par l'infirmation de la première (i.e. densité lexicale plus importante dans le PCR que dans DAN) : si les sujets prennent effectivement en compte le paramètre "connaissance partagée", nous pensions qu'à partir d'un certain âge, ils comprendraient que le rappel doive se suffire à lui-même, que le lecteur n'a pas à inférer certains contenus, même si le récit lui est familier (i.e. [+ connu]). C'est effectivement ce qui se passe : à partir de l'âge de 9 ans, les différences entre la densité du PCR et celle de DAN ne sont plus significatives.

Pour ce qui est de l'examen de cette densité lexicale par catégorie lexicale, nous nous demandions si la supériorité de densité lexicale dans DAN était due au développement particulièrement important de certaines catégories ou si c'était l'ensemble des catégories qui y contribuait. Sans que l'on ait pu observer de différences significatives entre catégories, il est à noter que celle des verbes est particulièrement développée, et ce, tant dans le PCR que dans DAN.

Au sujet de cette catégorie, on a également noté que les enfants de 6 ans la délaissaient dans le PCR au profit de celle des noms, alors qu'il se passe exactement l'inverse dans DAN où les verbes sont en nombre plus important que les noms. Cependant, si les écarts sont significatifs lorsque l'on observe, comme nous l'avons fait, le nombre de vocables, ces écarts s'atténuent ou disparaissent totalement si l'on considère le nombre de mots. Nous en avons alors conclu que la restitution d'un texte [+ connu] contribuerait à la diversification des noms tandis que le rappel d'un texte [– connu] privilégierait la diversification des verbes. En effet, le PCR favorise l'introduction de "noms-clés" comme "maman", "loup", "galette", pot de beurre", etc., ces termes-pivots gardant une certaine saillance dans la mémoire des sujets qui ont maintes fois entendu l'histoire. Parallèlement, on s'aperçoit que le conte du PCR lui-même induit des répétitions de verbes en ce sens que deux personnages font régulièrement la même action (i.e. le loup frappe à la porte et le PCR frappe à la porte) à deux moments différents de l'histoire ou qu'un même acteur réitère une action (i.e. le loup mange la grand-mère et le loup mange le PCR).

Autrement dit, outre une attention particulière aux choix méthodologiques, il faut également s'inquiéter des caractéristiques des supports eux-mêmes.

Pour le texte [– connu], l'importante diversité des verbes s'expliquerait par une compensation de proportions : si le nombre de noms différents est faible, le nombre de verbes différents augmente d'autant.

Ce chapitre traitant des problèmes de densité lexicale a montré que la densité lexicale dépendait clairement de la diversité lexicale puisque les différences de densité ont été expliquées par des différences de diversité. Cependant, les observations émises au sujet de la diversité demeurent peu quantitatives et le chapitre 9 se propose d'analyser plus scientifiquement cet aspect.

Notes
39.

Cette interprétation rappelle celle qui a été formulée au sujet de la conjonction de coordination "car" dans le chapitre 7.