2.1. LA SYNONYMIE

Balibar-Mrabti (1997) écrit "‘quand il y a équivalence, ou ressemblance de sens entre plusieurs formes, il y a synonymie’". Autrement dit, on pourraient appeler "synonymes" seulement les termes substituables les uns aux autres dans tous les contextes.

Or, les cas de "synonymie maximale" (Kerbrat-Orecchioni, 1979), de "synonymie totale et complète" (Lyons, 1970) sont extrêmement rares (Kerbrat-Orecchioni, 1979 ; Picoche, 1992 ; Seuren, 1969 ; Niklas-Salminen, 1997 ; Lehmann et Martin-Berthet, 1998). Ils ne se rencontrent guère que dans le langage technique ou scientifique. Par exemple, le vocabulaire de la médecine présente des doublets, les uns souvent empruntés au latin, les autres au grec (ictère, hépatite). Niklas-Salminen (1997) pense donc que si deux mots sont employés exactement dans les mêmes contextes, l'un des deux aura tendance à disparaître ou à changer de sens. Il semble évident à l'auteur que si plusieurs signifiants correspondent à un même signifié, c'est certainement que la langue en a besoin et qu'il y a, sans doute, entre ces mots, des différences plus ou moins sensibles.

Picoche (1992) tente de répertorier ces différences et explique que les relations de synonymie peuvent, en effet, être troublées par différents faits.

Premièrement, les termes envisagés peuvent être synonymes dans une seule de leur acception. L'auteur donne alors l'exemple des mots "pain", "vie" et "bifteck" qui peuvent être considérés comme synonymes seulement s'ils complémentent le verbe "gagner". Kerbrat-Orecchioni (1979), en s'inspirant de la terminologie de Lyons (1970), parle de "synonymie non totale ni complète".

Deuxièmement, un des deux mots définis comme synonymes peut être marqué par rapport à l'autre, c'est-à-dire avoir un trait pertinent de plus que lui. Pour cette seconde possibilité, Picoche (1992) choisit le mot "matou" qu'elle pose comme [– marqué] à côté du terme "chat" qu'elle définit de [+ marqué]. En effet, un "matou" correspond à un "chat mâle adulte entier" alors que le mot "chat" peut, désigner non seulement ce même animal "chat mâle adulte entier", mais également toute l'espèce, ce qui n'est alors pas le cas du terme "matou". Ce cas correspond à la "synonymie complète mais non totale" de Kerbrat-Orecchioni (1979).

Troisièmement, diverses connotations interdisent d'employer certains termes en synonymie, c'est-à-dire que là où peut apparaître l'un des mots, n'apparaîtra jamais l'autre, même si les deux termes sont synonymes quant au contenu sémantique véhiculé. Les exemples cités sont multiples : les mots "migraine" et "céphalée" ne sont jamais employés dans le même contexte, l'un étant populaire, l'autre savant. Sur un principe semblable, une connotation géographique oppose "septante" et "soixante-dix" ou une connotation familière distingue les termes "voiture" et "tire", "voiture" relevant d'un niveau de langage formel tandis que "tire" relève d'un niveau de langage informel. Cette troisième possibilité de "synonymie non parfaite" (Seuren, 1969) est appelé "synonymie totale mais non complète" par Kerbrat-Orecchioni (1979).

Au sujet de la synonymie, Lehmann et Martin-Berthet (1998) montrent l'importance de l'analyse distributionnelle. Cette méthode "consiste à préciser les environnements possibles de chaque mot, du point de vue syntaxique et sémantique". Les auteurs conseillent donc de sélectionner une série de phrases dans lesquelles un des deux items étudiés apparaît, il s'agit ensuite de remplacer cette unité par celle que l'on suppose lui être synonyme et enfin d'observer si les nouvelles phrases sont sémantiquement et grammaticalement acceptables. Lehmann et Martin-Berthet (1998) prennent l'exemple des adjectifs "sérieux" et "grave" et montrent, grâce à une étude contextuelle, les limites de leur synonymie. En effet, les deux mots commutent parfaitement lorsqu'ils modifient un nom abstrait tel que l'affaire, la situation, la question, etc. Dans ce contexte là, leur signification est voisine. Cependant, si le nom qualifié est concret plutôt qu'abstrait, la commutation devient impossible :

‘l'affaire est grave/L'affaire est sérieuse.
le son de cet instrument est grave/*Le son de cet instrument est sérieux.’

Aussi, de par la rareté de la "synonymie absolue" (Lehmann et Martin-Berthet, 1998), les lexicologues cités préfèrent-ils le terme de "parasynonymie" ou de "quasi synonymie", qui soulignent le caractère approximatif du phénomène, à celui de "synonymie".