2.2. L'HYPONYMIE ET L'HYPERONYMIE

‘"La relation d'hyponymie est une relation hiérarchique qui unit un mot spécifique (sous-ordonné), l'hyponyme, à un mot plus général (superordonné) nommé l'hyperonyme" (Lehmann et Martin-Berthet, 1998). ’

Le rapport qui lie un hyponyme à un hyperonyme est donc un rapport d'inclusion, notion qu'il faut manier avec précaution car elle dépend de deux points de vue (Lehmann et Martin-Berthet, 1998 ; Niklas-Salminen, 1997). Lehmann et Martin-Berthet (1998) opposent le point de vue référentiel au point de vue sémantique, c'est-à-dire que la classe des référents qui sont des tulipes est incluse dans la classe des référents qui sont des fleurs : on parle alors d'inclusion extensionnelle. Cependant, les auteurs ajoutent que le sens de fleur est inclus dans le sens de tulipe car les sèmes de fleur (i.e. sème 1 /production/, sème 2 /colorée/, sème 3 /venant de végétaux/, etc.) sont inclus dans les sèmes de tulipe qui comprend, en outre, d'autres sèmes spécifiques (i.e. sème 4 /racine bulbeuse/, sème 5 /fleur évasée/, sème 6 /couleurs vives/, etc.).

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Figure 29 : Les relations d'inclusion extensionnelle et intensionnelle d'après Lehmann et Martin-Berthet (1998 : 50).

On peut donc dire que, du point de vue du sens, les préfixes hypo– et hyper– sont impropres mais qu'ils sont, en revanche, représentatifs de la relation d'inclusion extensionnelle. Quoi qu'il en soit, la majeure partie des lexicologues privilégie la version extensionnelle qu'elle pose comme "intuitivement plus satisfaisante et convenant mieux à la relation d'implication" (Lehmann et Martin-Berthet, 1998 : 51), relation qui pose que si x est une tulipe alors x est une fleur. Cependant, le fait que x soit une fleur n'implique effectivement pas que x soit une tulipe donc, dans le discours, il est évident que la relation s'établit de l'hyponyme à l'hyperonyme et non l'inverse.

On peut également noter qu'un mot donné peut entrer dans une série d'inclusions successives qui dessinent des relations hiérarchiques dans le lexique (Lehmann et Martin-Berthet, 1998 ; Niklas-Salminen, 1997). Cette prise en compte de l'organisation intercatégorielle hiérarchique nous renvoie aux travaux effectués en catégorisation, notamment ceux de Brown (1958), pionnier de ce courant de recherche. L'auteur part du constat qu'une même chose peut être différentes choses, c'est-à-dire peut être catégorisée ou dénommée de différentes façons. Il prend l'exemple "un chien sur la pelouse" et explique que le chien en question n'est pas seulement un chien mais également un boxer, un quadrupède, un être animé. Ces termes se situant à différents niveaux, il est clair qu'il ne s'agit pas de synonymes, ni même de parasynonymes. Il montre que des sujets soumis à une tâche de description d'image et donc de dénomination (sur la scène du chien sur la pelouse par exemple) utilisent plus fréquemment le terme "chien" que celui de "boxer" ou d'"animal".

Pour rendre compte d'un tel fait, deux modèles explicatifs sont aujourd'hui disponibles : celui de Berlin et al. (1974-1978) et celui de Rosch et al. (1976).

Après avoir fait une analyse de classifications populaires de plantes et d'animaux, Berlin et al. (1974-1978) ont posé une organisation hiérarchique inter-catégorielle, à valeur universelle, en cinq niveaux de catégories — catégories auxquelles ils réfèrent par "taxa" — allant du plus générique au plus spécifique :

Tableau 36 : Organisation hiérarchique inter-catégorielle de Berlin et al. (1974-1978).
Berlin et al. (1974-1978) Traduction de Kleiber (1990) Exemple
Unique beginner Règne Plante
Life form Forme de vie Arbre
Genera Genre Chêne
Specific Espèce Chêne vert
Varietal Variété Chêne vert nain

Selon Berlin et al. (1974-1978), le niveau cognitif le plus saillant est celui du "genera" et ce, en raison des trois propriétés suivantes : "‘Ils représentent les groupements d'organismes de l'environnement naturel auquel on réfère le plus souvent, ils sont les plus saillants psychologiquement et ils font probablement partie des premiers taxa appris par les enfants’" (Berlin et al., 1978). Nous avons préféré citer ce passage pour ne pas le prendre trop à charge ! En effet, nous sommes très moyennement en accord avec cette manière de poser un niveau cognitif plus saillant que les autres, et ce, pour une raison essentielle : la non prise en compte du contexte. Nous pensons, en effet, que ce modèle est très influencé par le contexte dans lequel s'est développée l'expérience de Berlin : le locuteur et l'expérimentateur se trouvaient dans une forêt et ce dernier demandait au sujet le nom des plantes poussant autour d'eux. Il nous semble évident que le locuteur n'allait répondre ni "plante" certainement pressenti comme trop vague, ni "arbre" car le terme n'aurait pas créé de distinction suffisamment fine entre les différents arbres en question, ni "chêne vert" qui, cette fois-ci, aurait été trop précis. Le sujet se contentait donc de dire "chêne", "bouleau", "érable", etc.

Par ailleurs, cette expérience va à l'encontre de celle de Brown (1958) qui montre que le terme le plus fréquemment cité pour "un chien sur la pelouse" est "chien" qui, dans la classification de Berlin et al. (1974), correspondrait au niveau non pas du "genera" mais du "life form".

D'autres auteurs comme Wierzbicka (1985) expliquent que cette répartition des différentes classes sur cinq niveaux universels obéit plus à l'intuition qu'à des critères explicites de classification.

Kleiber (1990) aussi doute de la pertinence de cette classification et justifie ses soupçons en imaginant une nouvelle expérience qui serait en fait un mélange de celle de Brown (1958) et de celle de Berlin et al. (1974) : si l'on remplace le chien (sur la pelouse) par un chêne, Kleiber (1990) n'est pas convaincu, nous non plus, que le sujet devant décrire l'image dira "un chêne sur la pelouse". En revanche, il est fort probable que l'expérimentateur entende "un arbre sur la pelouse". Kleiber (1990) se demande alors s'il faut abandonner l'idée d'un niveau cognitif plus saillant caractérisé par une catégorie préférentielle. À la vue des travaux de Rosch et al. (1976) qui prolongent les études de Berlin et al. (1974), maintenir l'hypothèse d'un niveau de catégorisation privilégié semble toutefois intéressant.

Rosch et al. (1976) exploitent plus le versant psychologique et proposent donc une réorganisation qui permet au modèle de traiter les difficultés non maîtrisées par Berlin et al. (1974). Les différences s'expriment dans deux directions. D'une part, la hiérarchie n'est plus la même : de cinq niveaux, elle passe à trois. D'autre part, la caractérisation du niveau remplaçant celui du genera de Berlin est entreprise de manière plus systématique, avec, de surcroît, une volonté d'expliciter les raisons de la saillance cognitive de ce niveau.

Tableau 37 : Organisation hiérarchique inter-catégorielle de Rosch et al. (1976).
Rosch et al. (1976) Exemple
Niveau superordonné Plante
Niveau de base Arbre
Niveau subordonné Chêne

Pour ces auteurs, le niveau privilégié est celui se situant au centre de la hiérarchie, à savoir le niveau basique. Cependant, les catégories des chênes, bouleaux, érables, etc., qui correspondaient au niveau du genera chez Berlin et al. (1974), forment au contraire le niveau subordonné chez Rosch et al. (1976) et ne constituent donc plus les termes attendus prioritairement. Cette nouvelle distribution permet d'expliquer directement les cas qui contredisaient la taxinomie soi-disant universelle de Berlin et al. (1974). Si "arbre" est une catégorie de base, il est normal que ce soit lui qui soit employé devant une image de "chêne sur une pelouse".

La pertinence de la priorité cognitive du niveau basique a été vérifiée par des expériences psychologiques (Rosch et al., 1976 ; Tasmowsky-de Ryck et Verluyten, 1985). Nous n'en citerons que deux ici afin de ne pas charger inutilement cette mise au point théorique.

Par exemple, les auteurs ont mis en place une tâche visant à mesurer la rapidité d'identification. En bref, on demande aux sujets, à qui on présente des dessins en même temps qu'on leur indique des dénominations des trois niveaux d'abstraction, de dire le plus rapidement possible si l'image et le terme correspondent. Les résultats établissent que l'identification est la plus rapide lorsqu'il s'agit d'un terme du niveau de base, c'est-à-dire que les sujets reconnaissent plus vite le dessin d'une golden comme étant celui d'une pomme que comme étant celui d'une golden ou d'un fruit.

Une autre de ces expériences consiste en une observation des pronoms personnels utilisés sans antécédent : les auteurs montrent que pour demander à quelqu'un de sortir une poupée d'une voiture par exemple, on dira "Sors-la" et jamais "Sors-le", même si la poupée est classée dans la catégorie superordonnée "jouet".

Les trois moyens de diversification que nous venons de présenter (i.e. synonymie, hyponymie et hyperonymie) sont applicables à des mots pris en isolation (i.e. unités du dictionnaire) et il semblerait que dès que l'on considère le discours, les auteurs parlent de procédés tels que "substitution lexicale" (De Weck, 1991) ou "anaphore infidèle" (Blanche-Benveniste et Chervel, 1966 ; Kleiber, 1983) pour ce qui est des reprises anaphoriques :

Picasso est mort il y a un ou deux ans. L'artiste a légué sa collection personnelle au musée de Barcelone.42

Ici, l'item lexical de deuxième apparition est différent de l'antécédent, le déterminant variant également. Il est, par ailleurs, évident que "artiste" correspond à un hyperonyme de "Picasso" mais cette interprétation est rendue possible par la situation de discours, par le co- et le contexte.

Il existe d'autre moyen de diversification en discours, des moyens tels que la paraphrase (Fuchs, 1994 ; Gülich et Kotschi, 1983 , Langue Française, n° 73) ou la définition (Centre d'étude du lexique, 1990) par exemple.

Cette mise au point théorique nécessaire à la compréhension des termes employés par les sujets pour éviter la répétition étant faite, nous pouvons analyser les restitutions des enfants et des adultes mais, au préalable, considérons la diversité lexicale des deux histoires-supports.

Notes
42.

Cet exemple est emprunté à De Weck (1991 : 37).