Ce chapitre s'est occupé d'observer les proportions de vocables lexicaux restitués. Nous avons d'abord montré que les probabilités de rappel d'un terme variaient en fonction de la saillance de celui-ci, saillance qui, elle-même, dépend de plusieurs facteurs. Le corpus permet de vérifier certains des critères mentionnés comme ayant un effet sur la saillance d'un mot. Le facteur qui apparaît le plus influant est celui du rôle joué par le vocable dans le contexte de l'histoire. En effet, sont mémorisés et activés les termes-pivots, c'est-à-dire les termes autour desquels se construit l'histoire.
Ensuite et comme d'habitude, le corpus a donc été envisagé d'un point de vue global, c'est-à-dire que les quatre catégories lexicales étaient confondues puis, par la suite, chacune de ces catégories a été appréhendée individuellement.
Compte tenu du nombre de variables a examiner, nous avons posé six hypothèses ou plutôt 3 fois 2, c'est-à-dire que l'on a mesuré l'effet de trois variables (i.e. "texte", "âge" et "texte*âge") sur le corpus considéré toutes catégories lexicales confondues et sur le corpus envisagé catégorie par catégorie. Ces variables indépendantes étaient, comme il en a été du reste du document, le texte, l'âge et la combinaison des deux.
Pour ce qui est de la variable "texte", nous prédisions que le trait [+ connu] qui caractérise le PCR jouerait un rôle facilitateur dans la tâche de reprise dans le sens où les sujets, n'ayant pas eu à se concentrer sur le niveau global — ou, en tout cas, dans une moindre mesure — auraient pu être attentifs au niveau plus local composé des constituants de la phrase, autrement dit des mots. Cette première hypothèse s'est vue confirmée de manière significative.
Toutes catégories lexicales confondues, la variable "âge" a également un effet significatif sur le nombre de vocables lexicaux restitués et les sujets se répartissent en quatre groupes d'âge pour le PCR (i.e. 6 ans vs 7/8/9 ans vs 10 ans vs adultes) et en trois pour DAN (i.e. 6 ans vs 7/8/9/10 ans vs adultes). Une analyse qualitative de quelques productions représentatives de ces différents paliers acquisitionnels a pu montrer que les items lexicaux étaient effectivement de plus en plus restitués en fonction de l'âge et que les vocables, repris précocement, étaient soit maintenus, soit abandonnés d'un stade à l'autre. En outre, nous avons pu formuler une interprétation valable seulement pour les restitutions effectuées à partir du PCR : en dépit du faible nombre de vocables restitués par les enfants constituant le premier stade (i.e. 6 ans), l'histoire est tout à fait reconnaissable tandis que dans le cas de DAN, le récit n'est pas identifiable du tout.
Enfin, la dernière hypothèse postulait que les différences entre les pourcentages de reprise du PCR et de DAN ne seraient pas significatives pour toutes les tranches d'âge. Nous avons mis en relation le rappel du niveau local et celui du niveau global, c'est-à-dire le chapitre en cours et le chapitre 5 traitant des SCN. Nous pensons que seules les tranches d'âge n'ayant pas eu de difficulté à restituer les SCN pourront rappeler les mots entendus, les sujets ne pouvant se concentrer sur la manière dont le contenu est dit s'ils ont à se préoccuper de ce contenu lui-même. Aussi nous attendions-nous à ce que les écarts ne soient significatifs que chez les 7 et les 8 ans car le fait que les SCN du PCR soient aussi mal restituées que celles de DAN chez les 6 ans montre que ces sujets ont déjà du mal à gérer le niveau de la planification globale et il est certain qu'il ne pourront se préoccuper du niveau du mot ni dans le PCR, ni dans DAN. Pour ce qui est des trois autres tranches d'âge (i.e. 6/10 ans et adultes), les sujets restituent aussi bien les SCN du PCR que celles de DAN et le niveau local ne devraient alors pas leur poser de problème, ayant pu y prêter attention durant la phase d'écoute. Les enfants de 7 et de 8 ans, ayant bien rappelé seulement les SCN du PCR, ils devraient parvenir à restituer seulement les mots du PCR.
Cependant, cette hypothèse n'a pas été complètement confirmée car si les enfants de 8 ans affichent effectivement une différence significative entre le rappel des vocables du PCR et celui des items de DAN, ce n'est pas le cas des 7 ans. Aussi en avons-nous conclu qu'avant que la restitution d'un niveau, quel qu'il soit, s'automatise au point de permettre aux sujets d'en observer plusieurs simultanément, l'observation de tout niveau relève d'activités cognitives coûteuses.
La validation de la première hypothèse toutes catégories lexicales confondues est le résultat de l'ensemble des quatre catégories et non d'une seule : il y a bien, en situation de restitution du texte [+ connu], plus de noms, plus de verbes, plus d'adjectifs et enfin plus d'adverbes en –ment restitués qu'en situation de rappel d'une histoire [– connu].
Pour ce qui est des résultats par catégorie, nous avons vu que, tant en situation de restitution d'un texte [+ connu] qu'en situation de rappel d'un texte [– connu], les différentes catégories étaient de plus en plus restituées de 6 ans à l'âge adulte. S'il a été noté que le PCR et DAN donnaient lieu, quelle que soit la catégorie observée, au même nombre de paliers acquitionnels (i.e. 3 pour les noms, 4 pour les verbes, 2 pour les adjectifs et aucun pour les adverbes en –ment), on a également constaté que les restitutions du récit [+ connu] laissaient voir des pourcentages augmentant plus progressivement : les courbes de rappel se développent plus linéairement dans le PCR que dans DAN où l'on remarque des augmentations "en escalier".
Troisièmement, nous avons prédit que chaque catégorie aurait un développement spécifique selon que le texte soumis à restitution soit [+/– connu]. L'hypothèse est confirmée : les noms apparaissent significativement mieux restitués dans le PCR, et ce, pour toutes les tranches d'âge. Cependant, si l'on observe ces noms en question dans le détail, on s'aperçoit qu'ils sont en fait moins soumis à répétition, qu'ils sont beaucoup plus diversifiés dans le PCR que dans DAN. Pour ce, les sujets ont recours aux procédés définis dans le chapitre traitant de la diversité lexicale (cf. chapitre 9).
Pour les verbes et les adjectifs, une seule tranche d'âge affiche une différence significative entre le pourcentage de vocables restitués dans le PCR et dans DAN : il s'agit des 10 ans. Avant cet âge, les sujets rappellent peu de ces deux catégories et dans le PCR et dans DAN et, après cet âge, les sujets en rappellent beaucoup à la fois dans le PCR et dans DAN. Aussi, s'il a été noté, dans le chapitre 8, que la catégorie la plus importante chez toutes les tranches d'âge (exceptés les 6 ans dans le PCR) est celle des verbes, peut-on maintenant affirmer que les verbes introduits ne correspondent pas aux verbes proposés par les supports auditifs.
Toujours au sujet des verbes, une autre remarque mérite d'être résumée ici : nous avons pu noter que le PCR et DAN partageaient 38 verbes qui ont, dans les deux textes, presque les mêmes fréquences. Cependant, en dépit de ces ressemblances, une organisation des données en quatre catégories (i.e. "verbes n'apparaissant que dans le PCR", "verbes n'apparaissant que dans DAN", "verbes apparaissant dans le PCR et dans DAN" et "verbes n'apparaissant ni dans le PCR, ni dans DAN) a montré que "que dans PCR" et "ni PCR, ni DAN" diminuaient en fonction de l'âge tandis que la "PCR + DAN" augmentait en fonction de cette même variable. Aussi, même lorsque l'on compare les reprises d'un même vocable, remarque-t-on que le trait [+ connu] contribue à la restitution du niveau local.
Pour les adjectifs, il faut donc aussi attendre l'âge de 10 ans et observer cette catégorie dans les restitutions effectuées sur la base du récit [+ connu] pour constater une augmentation du stock de reprise adjectivale. Avant cet âge, même dans le PCR, les rappels sont très pauvres car en plus de l'adjectif "malade", on retrouve seulement les termes "petit" et "rouge" qui, en raison de la lemmatisation, ne correspondent pas à ceux constituant le surnom de l'héroïne, mais le fait d'entendre régulièrement ce prénom a dû activer les items et on les retrouve donc régulièrement dans les productions des sujets.
Les adverbes aussi sont en priorité restitués en situation de rappel [+ connu], mais la différence est significative chez les adultes seulement. Par contre, nous avons précisé la faible fiabilité de ce résultat en ce sens que le PCR ne comprend qu'un seul adverbe en –ment, et qu'un sujet qui le restitue obtient, dès lors, 100 % de reprise des unités de cette catégorie.
Autrement dit, il n'existe pas de catégorie pour laquelle la restitution serait d'abord effective en situation de rappel de l'histoire [– connu], ce qui permet, encore une fois, de mesurer l'aide que constitue le trait [+ connu] en acquisition.
L'examen des proportions de vocables lexicaux restitués ne doit pas faire perdre de vue que les mots présents dans les supports initiaux ne sont pas tous sujets à rappel. Comme nous l'avons expliqué au début de ce chapitre, dans certains cas, seul le signifié est mémorisé et le sujet utilise un autre signifiant pour rendre compte du concept à restituer, un signifiant différent de celui employé par l'auteur. Aussi les chapitres suivants sont-ils consacrés à l'étude de ces vocables non présents dans les textes initiaux et ajoutés par les sujets.