Comme il en a été des différents chapitres de cette thèse, nous allons, à présent, récapituler les points qui se sont révélés intéressants et pour cela nous allons passer en revue les différentes hypothèses testées et les conclusions auxquelles elles nous ont conduit.
Toutes catégories confondues, nous pensions qu'il y aurait un pourcentage d'ajout plus élevé dans le cas des restitutions du texte [– connu]. Cette intuition s'est construite, d'une part, sur le constat tout simple que les rappels de DAN ont une densité lexicale significativement plus importante que celle du PCR (cf. chapitre 4) pour une proportion de vocables lexicaux restitués plus faible (cf. chapitre 10). D'autre part, les précédents chapitres ont pu montrer qu'il est difficile de prêter une pareille attention à tous les niveaux de traitement du texte. Aussi, les sujets, concentrés sur l'aspect sémantique de manière à pouvoir restituer l'histoire ensuite, ne se préoccupent-ils qu'accessoirement du niveau plus formel, c'est-à-dire du niveau du mot. Les données ont donc confirmé cette hypothèse, autrement dit en situation de restitution du texte [– connu], les sujets ont, a priori, observé le récit dans sa globalité — ou, tout au moins, jusqu'au niveau interpropositionnel puisque les tournures syntaxiques sont reprises très littéralement (cf. chapitre 6) — et se servent de leur stock lexical personnel, non activé par le texte initial pour réécrire celui-ci.
Toujours pour ce qui est du corpus envisagé d'un point de vue global c'est-à-dire toutes catégories lexicales confondues, mais dans une perspective plus développementale, nous pensons que restituer une histoire avec ses propres mots nécessite, d'une part, un stock lexical personnel important et, d'autre part, une certaine prise de recul pour permettre une parfaite appropriation du produit à rappeler. En raison de ces exigences, les enfants devraient se suffire des termes induits par les supports tandis que les sujets plus âgés puiseraient dans leur propre lexique mental. C'est exactement ce qu'il se passe et l'hypothèse acquisitionnelle est donc, elle aussi, validée. En fait, les sujets se répartissent, tant pour le PCR que pour DAN, selon deux groupes : les 6 ans d'un côté et les cinq autres tranches d'âge de l'autre. D'un point de vue plus qualitatif, on a pu noter que les termes ajoutés entretiennent toujours un lien avec ceux proposés par les supports mais qu'à chacun des profils (i.e. 6 ans vs 7/8/9/10 ans et adultes) correspondait une stratégie de substitution particulière. Les plus jeunes enfants se tournent vers des termes de fréquence plus élevée, c'est-à-dire moins coûteux que ceux induits par les supports, alors que les plus âgés ont tendance à choisir des unités moins fréquentes que celles des textes initiaux.
Toutes catégories lexicales confondues, une dernière hypothèse a été expérimentée : la supériorité de vocables ajoutés dans DAN est-elle effective chez l'ensemble des tranches d'âge ou chez certaines seulement ? L'examen des données a pu montrer qu'une seule tranche d'âge affiche une différence significative entre les pourcentages de termes ajoutés dans le PCR et dans DAN, c'est celle des 10 ans. Avant cet âge, les sujets ajoutent peu de mots et dans le PCR et dans DAN, et ce, en raison d'un stock lexical personnel relativement pauvre. Après 10 ans, c'est-à-dire à l'âge adulte, les sujets en ajoutent beaucoup, tant dans le PCR que dans DAN, ce qui contribue d'ailleurs à la diversité lexicale notée dans le chapitre 9 car s'ils ajoutent des vocables, ils en restituent également une grande partie (cf. chapitre 10).
Le stade intéressant ici reste celui où l'on enregistre un écart significatif entre les supports [+/– connu] (i.e. 10 ans), et ce, pour deux raisons essentielles : la première est qu'il faudrait attendre cet âge pour que les sujets commencent à puiser dans un lexique mental non induit par la phase de préparation et, deuxièmement, cette différence témoigne du fait que la restitution d'un texte [+ connu] "bloque" les sujets en ce sens que, ayant enregistré les termes de l'auteur, ils n'en emploient pas d'autres que ceux-ci puisque l'on vient de leur demander de réécrire le récit qu'ils venaient d'entendre. À ce sujet, nous nous rappelons qu'au moment de se mettre à restituer le PCR, certains enfants nous ont demandé s'ils devaient réécrire tous les mots dont ils se rappelaient : connaissant bien le conte et ses constituants, ce nombre devait leur paraître tellement important qu'il les affolait, d'où leur question.
Précisons que nous avons également, et de nouveau, évoqué les difficultés liées à la non-automatisation des activités grapho-motrices qui, nous l'avons déjà montré, s'automatisent autour de l'âge de 9/10 ans.
Catégorie par catégorie aussi, nous avons répondu à trois questions : dans un premier temps, nous nous sommes demandée si les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes en –ment contribueraient tous au fait que les restitutions du texte [– connu] contiennent plus de vocables ajoutés que les rappels du texte [+ connu]. Après avoir considéré chacune des catégories, nous pouvons aujourd'hui affirmer que c'est la combinaison des quatre qui donne lieu à une différence significative entre DAN et le PCR car, prises séparément, aucun écart n'apparaît comme statistiquement pertinent.
Deuxièmement, nous nous demandions si chacune des quatre catégories ferait apparaître les deux paliers acquisitionnels relevés toutes catégories lexicales confondues (i.e. 6 ans d'un côté et 7/8/9/10 ans et adultes de l'autre). En fait, seule l'analyse des noms permet d'aboutir à cette bipartition des données, les verbes, les adjectifs et les adverbes en –ment ne laissant, statistiquement parlant, apparaître aucun stade développemental.
Pour la catégorie nominale, nous en sommes arrivée à la conclusion que les noms utilisés par les auteurs des textes initiaux devaient être de trop basse fréquence pour des enfants de 6 ans qui, tout en conservant le sens des énoncés, optent pour des vocables de rang supérieur, c'est-à-dire moins coûteux cognitivement. Nous avons alors décrit différentes stratégies de substitution qui ont permis de mieux comprendre les choix de ces plus jeunes sujets.
En ce qui concerne les trois autres catégories, nous n'avons pas fait cas des adjectifs et des adverbes du fait qu'ils sont ajoutés en nombre très faible. En revanche, pour les verbes, même si la différence n'est pas significative, on peut noter une cassure assez nette entre le comportement des 6 et des 7 ans et cette observation nous mène à penser que si les 6 ans remplacent les noms, les sujets à partir de 7 ans ont tendance à remplacer les verbes. Plus précisément, les enfants de 6 ans se dirigent vers des termes de plus haute fréquence que celle des items proposés par les supports, c'est-à-dire que les noms restent des noms mais ils sont de rang de fréquence plus élevée tandis que les enfants plus âgés et les adultes se tournent vers des vocables de plus basse fréquence que celle des termes utilisés par les auteurs : dans la majeure partie des cas, les verbes demeurent des verbes mais ils sont de plus basse fréquence que celle des items initialement entendus.
Autrement dit, les productions des 6 ans — ayant conservé les verbes introduits par les auteurs, remplacé les noms par des noms plus fréquents et utilisé très peu d'adjectifs et d'adverbes — ne se composent aujourd'hui que d'items de haute fréquence alors que celles des sujets plus âgés — ayant remplacé les verbes par des verbes de plus basse fréquence, conservé les noms et introduit quelques adjectifs et adverbes — ne contiennent que des items de basse fréquence.
Enfin, nous nous sommes questionnée au sujet des trois paliers relevés toutes catégories lexicales confondues : les données organisées par catégorie permettraient-elles de retrouver les trois stades notés ultérieurement ? Ici aussi, ce regroupement identifiable toutes catégories confondues ne se retrouve ni dans les noms, ni dans les verbes, ni dans les adjectifs et ni dans les adverbes en –ment. Cela signifie, qu'ici encore, c'est l'action commune des quatre catégories qui fait que l'on aboutit, lorsqu'elles se confondent, à une différence marquée chez les 10 ans et non chez les cinq autres tranches d'âge. En effet, quelle que soit la catégorie étudiée, ou quel que soit l'âge, on ne note aucune différence significative entre les restitutions du PCR et celles de DAN, pas même à l'âge de 10 ans.