B.– L’influence de l’anthropologie dans ce processus d’exclusion/ domination du colonisé.

Dans le contexte scientiste de la fin du XIXe siècle où l’expansion coloniale connaît un nouvel essor, l’anthropologie nourrit l’ambition d’être un "discours à caractère scientifique sur l’altérité". 185 Dans cet environnement les nouvelles sciences de l’homme, dans leur hâte de rattraper les sciences de la nature, croient pouvoir établir des déterminismes qui peuvent aujourd’hui paraître prématurés.

On repère la naissance à la fin du XVIIIede la physiognomonie (Lavater) qui engendre la phrénologie, la craniologie ou la cranioscopie. Beaucoup s’imaginent en effet, dans la seconde moitié du XIXe, pouvoir juger d’un tempérament en fonction du faciès et des bosses crâniennes. La hantise des maladies vénériennes et des maladies nerveuses mène à l’affirmation d’un déterminisme héréditaire absolu. Les progrès de la biologie et de la pathologie sont exploités dans le même sens. Un darwinisme grossier pousse à la sélection des élites et à l’eugénisme. Quant à la sociologie naissante, on la sent aussi inquiète des "classes dangereuses" (pauvres et délinquants). Elle s'occupe à répertorier et comprendre les anomalies sociales qui semblent reproduire, en les grossissant, les anomalies individuelles.

Si on ajoute à cela l’influence de la notion thermodynamique d’entropie, on comprend pourquoi la fin du XIXe et le début du XXe siècles sont obsédés par la dégénérescence de la race et la décadence de la "civilisation". Des linguistes et des historiens plus ou moins fantaisistes en profitent pour édifier le mythe aryen. Et c’est sur ces bases pseudo-scientifiques que se construira le délire nationaliste, puis national-socialiste qui, après avoir secoué la France vers 1900, débouche en Allemagne dans les années 30. À la dégénérescence, on oppose la régénération : l’amélioration de la race et l’expulsion des germes pathogènes qui la menacent. Une certaine science nourrit donc des idéologies de caractère totalitaire. Extraordinaire retour des choses : la science, facteur de progrès inspire la pire des régressions. Cela nous donne à penser sur le danger qu’il y a à substituer des arguments "scientifiques" aux normes juridiques et morales.

Avec un peu plus de détails, en particulier sur les éléments qui concernent le propos qui est le nôtre, reprenons ce tableau contextuel du XIXe siècle "scientiste".

Notes
185.

Norbert (Rouland), op. cit..