A. – la clôture de l’espace public/politique de la métropole aux colonies : rappels de quelques situations d’exclusion au sein de l’état colonial.

À la Libération, la situation des individus dans les colonies françaises d’Afrique est déterminée par une règle solidement établie, assortie d’exceptions : les autochtones à statut personnel sont exclus du bénéfice des droits politiques ; relevant des droits traditionnels, et non du droit civil français, ils sont soumis à un statut particulier appelé statut de l’indigénat, qui détermine un champ dérogatoire du droit commun métropolitain. 278 Les métropolitains habitant dans les colonies gardent leur situation antérieure ; ils sont citoyens français et bénéficient donc de la totalité des droits civils et politiques conférés pars la constitution et les lois françaises. À cette règle sont apportées deux sortes d’exceptions.

D’une part, il est possible, par la procédure de naturalisation, pour un indigène d’acquérir la citoyenneté française, mais cette acquisition, discrétionnairement consentie par la métropole, est soumise à des conditions destinées à vérifier l’assimilation totale de l’indigène à la cité française : instruction, renonciation au statut personnel, activité politique conforme aux volontés de l’Administration... Très peu nombreux sont en réalité les bénéficiaires de la citoyenneté par cette voie, 279 à l’issue de laquelle ils relèvent désormais du code civil français, et jouissent des droits politiques (droit de suffrage, éligibilité...).

D’autre part, aux termes de la loi du 24 avril 1833 disposant dans son article premier que : "‘Toute personne née libre ou ayant acquis légalement la liberté jouit dans les colonies françaises :’

  1. des droits civils ;
  2. des droits politiques, sous les conditions prescrites par les lois " ; certains individus bénéficient de la citoyenneté française, bien que d’origine indigène, dans les colonies suivantes, anciennement rattachées à la France : les quatre vieilles colonies, et les quatre communes de plein exercice du Sénégal (Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis, en vertu de la loi du 29 septembre 1916), Sainte-Marie de Madagascar, Tahiti, les Iles sous le Vent et Tuamotu. Parmi ces colonies, seuls les citoyens africains des quatre communes du Sénégal ont une qualité supplémentaire, la loi de 1916 leur ayant permis de conserver leur statut personnel en devenant citoyens français.Le statut spécifique accordé aux quatre communes du Sénégal ne constitue qu’une exception, chacune de ces communes faisant partie de la République : dès 1848, elles jouissaient d’une représentation à l’Assemblée nationale française ; et les lois de 1872 et 1879 qui organisaient les compétences des institutions locales en métropole, faisaient l’objet d’une application identique au Sénégal. L’accès à la citoyenneté française y est pourtant soumis à la condition de l’acceptation des lois françaises, ce qui signifiait renonciation à l’islam.

Ainsi donc, au sortir de la seconde guerre mondiale, dans les colonies françaises, l’on se trouve face à une citoyenneté fractionnée et hiérarchisée enregistrant la différenciation inégalitaire des statuts politico-juridiques des individus.

Cette situation n’est pas nouvelle en France. Elle remonte à la Révolution française elle-même qui, en donnant un contenu politique à la citoyenneté, à savoir la participation au pouvoir politique, organisait dans le même temps l’exclusion de certaines catégories d’individus du bénéfice du principe de l’égalité en droit : la Révolution n’a donc pas en cela attendu l’Empire colonial, malgré l’humanisme politique et juridique qui caractérise sa démarche.

Notes
278.

Rappelons que le régime de l’indigénat, comme l’indique Jean Suret-Canale, "consistait à donner aux autorités administratives le droit de frapper les sujets de sanctions pénales, sans avoir à en justifier devant aucune autorité judiciaires", in Afrique Noire, L’ère coloniale (1900-1945), op. cit., p. 418.

279.

Il semble n’y avoir eu de demandes de ce type d’accession à la citoyenneté française au Cameroun, que de la part des métis, désireux d’échapper à la condition des "Noirs". Cf. Decottignies (Roger), La condition des personnes au Togo et au Cameroun : De la nationalité française aux citoyennetés locales, op. cit..