Malgré les réformes de 1946, on peut dire que les certitudes coloniales héritées de la période d’avant-guerre demeuraient à peu près inentamées (cf. supra, Section I). En réalité, les réformes n’ont fait évoluer le sort des colonies françaises que dans les limites du maintien de la suprématie de la métropole et de la permanence de ses intérêts. Tel est le constat que l’on peut établir en 1956, dix années après que les réformes aient été engagées pour permettre la participation des populations indigènes à la gestion de la cité. Cette situation débouchant sur un malaise dans les colonies, la difficulté pour le gouvernement, qui ne pouvait plus s’en tenir à la position d’immobilisme de la métropole, 332 consistait alors à découvrir une procédure rapide pouvant d’une part, dissiper ce malaise et "rétablir la confiance", et d’autre part, échapper aux discussions interminables d’un parlement toujours réticent lorsqu’il s’agit de faire des concessions aux territoires d’Outre-mer, et inscrire les réformes substantielles dans des textes conformes au titre VIII de la Constitution.
En s’apparentant de très près aux lois de pleins pouvoirs ou de pouvoirs spéciaux, la technique de la loi-cadre finalement retenue, va permettre de tracer les grandes lignes des mesures à prendre, en remettant au gouvernement, sous le contrôle du parlement, le soin d’en définir les modalités pratiques.
Adoptée en fin de compte, avant que les événements n’y contraignent d’après les mots mêmes du ministre Gaston Defferre, la loi-cadre, qui porte aussi son nom, intervient dans un contexte qu’il nous semble utile de rappeler. Sur le plan électoral, cette loi contient enfin les dispositions qui dix années plus tôt, étaient des conséquences directes de la Constitution !
Selon l’exposé des motifs et toutes les interventions des orateurs dans la discussion générale à l’Assemblée Nationale, "Dans les territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer, il est possible encore de procéder en temps opportun à un certain nombre de réformes souhaitées par les populations... Il ne faut pas se laisser devancer et dominer par les événements pour ensuite céder aux revendications sous une forme violente. Il importe de prendre en temps utile les dispositions qui permettent d’éviter les conflits graves". "La gravité et l’urgence des questions d’Afrique du Nord ne doivent pas nous faire commettre la faute d’attendre pour définir une politique en Afrique Noire, à Madagascar, en Océanie. Ne laissons pas s’accréditer l’idée inexacte que notre Parlement ne s’occupe des peuples d’Outre-mer que quand le sang coule. Prouvons que nous savons agir autrement que sous la conduite des événements ", déclarait le ministre de la France d’Outre-mer, Gaston Defferre ( in A.N. 21 mars 1956, J.O. , 22 mars, p. 1108).