SECTION I : L’APPEL AU VOTE : DES ENJEUX DE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE À LA MODALITÉ PRINCIPALE DE L’ENRÔLEMENT ÉLECTORAL DES POPULATIONS.

‘"La théorie démocratique, écrit Daniel Gaxie, postule des citoyens attentifs aux événements politiques, au fait des problèmes et instruits des idéologies en lice exprimant en définitive par leur vote un choix réfléchi et motivé. [Or] C’est une tout autre réalité que dévoile l’analyse sociologique : la capacité de manipuler la symbolique politique est fort inégalement répartie et ceux qui en bénéficient au plus haut degré sont aussi ceux qui détiennent, par, ailleurs, les autres pouvoirs socioculturels". 394

Concernant le citoyen ordinaire confronté à cette situation, on peut, avec Frédéric Bon, 395 constater qu’il s’y retrouve comme l’individu devant le cosmos : "‘La vie politique lui apparaît comme un univers d’une extraordinaire complexité, une multiplicité de groupes, de sous-groupes et de personnalités entrent en conflits qui s’organisent en un nombre considérable de dimensions […]. Or, la démocratie pluraliste somme le citoyen d’intervenir […] dans ce débat et d’arbitrer ces conflits. Le temps et l’investissement intellectuel qu’il peut consacrer à cette tâche sont extrêmement limités. Le seul moyen pour résoudre cette contradiction est d’opérer […], une réduction de cet univers complexe à un petit nombre d’oppositions […]. Cette réduction est opérée par le discours politique’".

C’est ce discours qui au moment des élections et même au-delà, permet de saisir les clivages politiques, c’est lui qui transforme les préoccupations en enjeux électoraux, c’est lui qui permet aux citoyens d’accorder une importance claire au vote, d’avoir une opinion tranchée sur les sujets débattus, et percevoir les différences effectives entre les protagonistes en présence.

C’est en examinant donc ce discours qu’il nous paraît possible de ramener les dimensions multiples de l’offre électorale qu’il contient aux opérateurs simples qui la structurent en permanence et qui constituent les enjeux de la participation électorale.

En parlant d’enjeu de la participation électorale, précisons qu’il s ‘agit en général d’un ensemble de préoccupations définies et appréhendées dans les discours d’appel au vote. Ces préoccupations sont sensées être celles auxquelles les citoyens accordent une importance qui éveillera leur intérêt, suscitera ou justifiera la mobilisation électorale. Pour ce qui concerne notre analyse en particulier, ces enjeux de la participation électorale sont formés de maître mots, d’idées force, d’affirmations pivot ou de thèmes principaux qui sont régulièrement mis en scène par les protagonistes battant campagne électorale. Autour de ces enjeux s'organisent la plupart des locutions et allocutions politiques avec l'objectif de sensibiliser l’électorat et donc de susciter de sa part un suffrage favorable. Ces enjeux sont, en d'autres termes, des propositions diverses regroupées et appréhendées en une seule proposition générique à laquelle s'affecte selon l'élection, un vaste ensemble de formulations singulières se référant au contexte national du moment et renvoyant à leur tour à d'autres propositions des intervenants et orateurs politiques pendant la période électorale.

Les enjeux de la participation électorale, dont nous soulignons qu’ils ne sont pas alternatifs les uns vis-à-vis des autres, constituent des unités de signification dont l’interprétation s’effectue en étant toujours accompagnées quelle qu'elle soit d'un recours à la fête et aux supports symboliques de la fête.

Notes
394.

Daniel Gaxie constate ainsi que dans la démocratie représentative, "la structure même du champ politique perpétue un cens d’autant plus efficace qu’il est caché, dont le fonctionnement comporte le monopole des professionnels de la politique, favorise les partis représentatifs des classes supérieures et contribue en fin de compte à reproduire les clivages essentiels d’une société inégalitaire…". Cf. Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégations politiques, Paris, Le Seuil, 1978.

395.

Bon (Frédéric), "Qu’est-ce qu’un vote ? ", Histoire, n° 2, 1979, p. 105 et sq.