1. – Le lieu de la fête ou l'environnement de sollicitation du vote des citoyens.

Dans les agglomérations urbaines au Cameroun, les salles de fête ou les locaux scolaires retiennent souvent l'attention de l'organisation de ces fêtes à l'occasion des élections. Mais, en l'absence d'une autorisation des autorités compétentes dont le refus de la délivrer soulève en général des soupçons de parti pris ou lorsque le nombre de participants attendus ou souhaités est trop élevé, les sites cérémoniels privilégiés sont alors comme dans la plupart de petites localités, des espaces à ciel ouvert, suffisamment placés au vu et au su de tous ceux qui peuvent manifester le souci ou l'envie de participer au rassemblement festif.

Dans les zones rurales ou dans les petites agglomérations urbaines au contraire, la rareté des salles de fête conduit immanquablement à ce que le lieu de la manifestation festive soit celui le plus souvent couvert par la place du village ou celle de certains quartiers de la localité.

Dans tous les cas, on peut dire que se sont les limites en infrastructure matérielle ainsi qu'une logique de la massification qui font que les endroits ouverts soient privilégiés. Il peut s'agir de la rue, du stade ou de la place centrale, pourvus que ces lieux soient en mesure d'accueillir les multitudes et ainsi les réunir "‘sous la voûte céleste qui finalement n'appartient à personne’". 430 De la sorte, le succès de la fête électorale, généralement de plein air, est aussi fonction du facteur météorologique. Mais, au plan symbolique chez les Bëti, par exemple, on tient la pluie le jour d’un rassemblement festif pour un bon signe : l’eau de pluie laverait le corps social de toutes ses impuretés…

D’un point de vue géographique à présent, la scène festive peut être fixe ou mouvante. C'est généralement en milieu urbain que l'on observe des fêtes mouvantes, qui s'organisent alors en longue et bruyante procession incorporant bien entendu divers éléments festifs à travers les rues crevassées de la cité. Le parcours choisi n’est jamais neutre, il comporte nécessairement des étapes significatives, permet d’exploiter le symbolisme des lieux et vise à rassembler ou à toucher au passage le maximum de personnes.

Tout n’est pas toujours régi par l’organisation afin que l’imprévu ne vienne ni altérer le sens de cette démonstration festive ni provoquer sa dégradation en émeute : parfois, à certains passages ou au hasard d’un incident ou d’une rencontre fortuite entre des participants au défilé électoral avec leurs adversaires ou avec des spectateurs hostiles, certaines parties ou même souvent l’ensemble du cortège dégénèrent en rixes exposant au grand jour la profondeur des antagonismes entre partisans de camps adverses dans la compétition électorale en cours.

Selon le point d’observation adopté, les fréquents déplacements des candidats d’une localité à une autre, mais toujours vers des citoyens appelés à les élire, rentrent soit dans la catégorie de fête mouvante soit dans celle de fête fixe.

La fête non mouvante bénéficie quant à elle, d’un périmètre déterminé, balisé, souvent protégé par un service d’ordre formé des éléments de la milice du parti organisateur ou des membres de police privée dont on paie le service.

En général donc, la voie publique devient à l’occasion des fêtes électorales, un lieu privé-public, un axe véhiculaire d’expression militante. Ce lieu est toujours agrémenté par rapport à son cadre habituel d’un ensemble d’éléments décoratifs : images et formules mobilisatrices inscrites sur calicot ou pancartes, palmes, guirlandes, tentures colorées, drapeaux, banderoles aux slogans divers, affiches comportant effigie, nom et couleurs du candidat et vantant ses mérites. Ces éléments décoratifs ou de propagande entretiennent un état collectif propice à l’accueil du public, à celui du prétendant à leur suffrage suivi de son entourage de campagne. Ils permettent de toute façon d’objectiver la signification de la réunion en ces lieux, et font surtout de ces lieux un espace approprié, aménagé, qui se trouve en constante représentation, qui suscite des résonances, en exaltant des sentiments ou en suggérant des conduites car, à certains égards le vote apparaît comme une retombée de ces fêtes.

Notes
430.

Rancière (J.), Esthétiques du peuple, Paris, La Découverte, 1985, p. 65.