2. – Les participants à la fête électorale : des élites et de la masse.

En s'inscrivant à l'écart de la quotidienneté, la fête pour les élections ou à l'occasion de celles-ci, prétend suspendre provisoirement les différences sociales. Or, lorsque l’on observe l'occupation de l'espace festif par les participants à cette fête, la hiérarchie constitutive de la société (dominants/dominés) semble ne pas disparaître, loin de là, et même la fête électorale la met en scène, l'expose et la confirme.

La forme binaire spatiale semble en général suivre une règle préétablie. Elle s'apparente au cours de ces fêtes à la structure théâtrale faite d'un mélange d'éloignement et de proximité : le politique ne relève-t-il pas de la scénologie ? 431

En effet, au cours de la cérémonie des fêtes électorales, d'un côté du site ou de la salle où se tient cette fête se trouvent regroupées dans une tribune aménagée pour la circonstance, les "forces vives" de l’agglomération ou de la localité hôte de cette réunion. Ces personnalités sont très souvent assises dans un ordre protocolaire qui facilite leur identification depuis le public. Ces "forces vives" se composent de notables locaux, de figures emblématiques du parti organisateur du "meeting" électoral et de ses candidats officiels, des membres du gouvernement venus délivrer le message du pouvoir, lorsque c'est justement le parti au pouvoir qui se présente comme le maître d'œuvre de la cérémonie en cours.

Dans les milieux populaires au Cameroun, c’est le terme désormais courant d'"élite" qui permet de distinguer ces personnalités, membres de cet ensemble social. Dans la jeunesse, après que "grand type" et "coup plié" soient presque tombés en désuétude, on parle désormais de "bao", qui signifie baobab pour désigner cette catégorie de personnes. Mais à quoi correspond ce concept d'élite dans les faits ?

Au XVIIe siècle, le mot élite est en Occident utilisé pour décrire une excellence particulière. Il sera progressivement étendu à tout groupe social supérieur comme les unités militaires prestigieuses ou bien les hauts rangs de la noblesse. 432 Ce terme ne devient concept en science politique qu’à partir de la fin du XIXe siècle et l'émergence des théories sociologiques relatives aux élites.

L'économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto fut le véritable investigateur de cette conceptualisation. S'intéressant principalement à l'élite gouvernante, il associe celle-ci à un ensemble d'individus qui, directement ou indirectement exercent une influence considérable sur le gouvernement. Il distingue alors l’élite, qu'elle soit gouvernante ou non gouvernante (les individus faisant partie de l'élite mais dont le comportement ne modifie pas ou n'impulse pas le cours de la décision politique) de la non-élite ; c'est-à-dire le reste de la société. 433 Développant les premiers travaux de Vilfredo Pareto, Mosca systématisera la différenciation entre élites d'une part et le reste de la société (la masse) de l'autre part. C'est ainsi qu'il écrira que :

‘"Parmi les faits et tendances constants qui peuvent être trouvés dans tout organisme politique, l'un est si manifeste qu'il apparaît même à l'œil le plus insouciant. Dans toute société, (…) deux classes de personnes apparaissent : une classe qui gouverne et une classe qui est gouvernée. La première classe, toujours moins nombreuse, remplit toutes les fonctions politiques, monopolise le pouvoir et adore les avantages que le pouvoir procure, alors que la seconde la plus nombreuse est dirigée et contrôlée par la première d'une manière maintenant plus ou moins arbitraire et violente. 434

Pareto et Mosca s'accordent ainsi pour définir l'élite comme un groupe de personnes qui exerce le pouvoir politique ou influence très fortement l'exercice de ce pouvoir politique. Cette définition s’étant révélée assez large, dans les années 50, 435 Harold Lasswell, va procéder à un recentrage du concept d'élite autour de ce qu'il qualifie alors comme le "top power class" : un ensemble de personnes prééminentes et actives détenant le pouvoir d’un corps politique. 436 Cette définition renvoie directement au premier type de groupe pris en considération par G. Almond dans son article "The Elite and Foreign Policy". Selon lui, quatre sortes de groupes composent l'élite d'un pays. L'élite politique tout d'abord, correspond aux officiels intervenant directement dans la formation de la décision publique soit au niveau exécutif, soit au niveau législatif. Les élites administratives et bureaucratiques ensuite sont chargées de gérer les structures et les institutions au sein desquelles les élites politiques élaborent leurs décisions. En outre, les élites ayant intérêt incluent les associations privées ou personnalités exerçant des fonctions économiques, ethniques, religieuses ou idéologiques dont l'activité est directement contrainte par les décisions publiques. Enfin, les élites de la communication représentent les mass media (radio, presse, et cinéma). 437

Au final de ces différentes considérations de caractère plutôt théorique sur les élites, il ressort que ce concept peut prendre des contenus différents et varier dans sa signification selon le groupe pris en considération au sein d'une collectivité.

Dans ce cadre d’analyse concernant la construction du vote au Cameroun, il est question quant à nous d’envisager le concept d’élite à partir de deux points de vue dont le premier est en quelque sorte réduit à la participation aux fêtes électorales, et le second élargi au processus même de l’électoralisation, qui fait intervenir la notion interactionniste, plus descriptive et plus "politique" d’"arène" (au sens qu’a ce terme pour la sociologie des organisations), 438 et qui évoque à la fois une échelle plus restreinte et une plus claire conscience des affrontements chez les acteurs eux-mêmes. Une arène, au sens où nous l’entendons, est donc un lieu de confrontations concrètes d’acteurs sociaux en interaction autours d’enjeux communs. Elle relève d’un espace "local", en l’occurrence les communautés dites traditionnelles, c’est-à-dire les plus anciennement établies, qui structurent le champ social au Cameroun.

Pour ce qui est donc tout d’abord de notre propos sur la participation aux fêtes électorales au Cameroun, moment essentiel de la période électorale, la catégorie sociale que désigne le concept d’élite relève des lieux communs et concerne dans le pays l’ensemble humain qui se situe au-dessus de la moyenne des individus du reste de la collectivité nationale. La plupart des individus membres de cet ensemble sont motivés soit par le désir de pouvoir, la recherche des postes de responsabilité comportant un budget public à gérer, soit par celui du prestige, des revenus et pour certain d’entre eux simplement par le goût des conflits. Détenteurs ou non d’une partie du pouvoir effectif national, ces individus forment la catégorie des puissants dans le pays, et s'efforcent évidemment, du moins pour quelques-uns d’entre eux, par leur présence à la fête électorale d'opposer une humilité momentanée au luxe et à la magnificence de leur existence habituelle, si l’on la compare à celle de la masse des citoyens également présents à la fête. Pour un certain nombre de personnes de cette catégorie dite des élites, leur présence à la fête électorale n’est qu’une sorte d’acte d'allégeance soit envers le parti qui organise le "meeting électoral" en question, soit envers les responsables ou les candidats de ce parti. Pour beaucoup d'autres de ces personnalités regroupées et même souvent agglutinées sur l’estrade ou la tribune dressée pour la circonstance, la fête électorale est plutôt l'occasion de s'assurer de l'étendue de leur réseau de pouvoir, d'influence et de l'efficacité de leur capacité de mobilisation qu'ils pourront par la suite monnayer au terme de la compétition électorale.

Ensuite, c’est-à-dire pour ce qui concerne précisément le processus d’enrôlement électoral dont il est question dans cette partie de notre travail d’en rendre compte, peut-être faut-il au préalable rappeler qu’il consiste dans la mise en rapport, comme d’ailleurs tout processus social, des groupes localisés ou des acteurs "d’en bas" avec les élections et la forme sociale et politique que constitue le vote, et que ce processus implique donc le recours à des "médiateurs", des "passeurs" qui jouent évidemment un rôle stratégique dans les différentes arènes politiques locales du pays où ils se retrouvent implantés, quelle que soit par ailleurs leur fonction au niveau national.

Dans ce processus d’enrôlement électoral des populations en effet, nous postulons que les élites sont ces "passeurs sociaux", qu'ils sont les animateurs de la vie politique nationale et que par eux, l’ensemble des institutions et structures qui rendent possibles l’activité politique (État, régime, mode de scrutin, décisions..) pénètre les sociétés locales. Plus ou moins situées à la charnière des deux ensembles en présence, ces élites ont une fonction centrale dans la diffusion ou non des croyances fondatrices du champ politique. Quelques-uns appartiennent au monde des institutions que nous dirions "modernes" parce qu’importées, c’est le cas des représentants des pouvoirs publics, des fonctionnaires et autres encadreurs ou animateurs, qui ont cependant certains types de connexions ou d’affinités avec la culture locale que ne partagent pas nécessairement les échelons les plus élevés de la pyramide des institutions du pays. D’autres appartiennent plutôt à la société locale, mais en constituent la frange qui est la plus en contact avec l’"extérieur", avec la "modernité" : militants associatifs, notables, chefs de village ou de groupement, la liste est longue et diversifiée de ceux-là qui jouent les intermédiaires entre ces deux "mondes". Ils sont insérés dans le "monde" local où ils ont leurs enjeux, mais maîtrisent suffisamment les règles du "monde" des institutions "modernes" et leurs valeurs pour pouvoir en user à leur profit (ils s’en approprient). Ce sont donc des "passeurs" de la forme sociale du vote et ils disposent généralement d’une ressource importante qui paraît être devenu, suivant la manière dont se déroulent les campagnes électorales au Cameroun (au moment des élections, chaque membre de la catégorie sociale des élites revient en général vers la communauté dont il est originaire), un prérequis pour quiconque entend être efficace, parler en étant entendu et écouté, jouer un rôle sur cette scène de la médiation. Il s'agit de la langue vernaculaire locale.

Dans le processus de changement, ces "passeurs" ou "médiateurs" sont considérés comme l’interface entre les populations et les formes englobantes telles que l’État, le gouvernement, la nation, la communauté, les institutions, le vote…, ils servent d’intermédiaire entre les groupes localisés et le pouvoir central ou national et gèrent donc les rapports entre l’État "moderne" et les acteurs locaux.

Plus précisément encore, dans le processus d’enrôlement électoral des populations au Cameroun, les "médiateurs" ou "passeurs", c’est-à-dire ceux que nous convenons de distinguer au sein de cette société comme constituant la catégorie des élites ou désignant dans les arènes politiques locales des acteurs sociaux et politiques centraux, évidemment dotés de ressources inégales, sont aussi soumis à des pesanteurs multiples en étant insérés, en dehors des partis politiques, dans divers réseaux de médiation. Il y a par exemple :

Engagés donc dans ces réseaux d’interaction ou de médiation ces acteurs sociaux et politiques centraux agissent ou se positionnent comme mandataires des communautés infra-nationales dont ils sont le plus souvent eux-mêmes originaires; et les motivations en général affichées relèvent de diverses rhétoriques du bien public, de l’intérêt collectif, du dévouement aux autres, du militantisme, du pouvoir ou d’influence. Cependant, l’ambivalence étant constitutive de l’action politique ou sociale, les intérêts personnels plus matériels ne sont pas à exclure : "l’équation personnelle".

Rappelons que la "médiation" comme nous l’entendons ici n’est pas une profession. Aussi devrions-nous parler plutôt de "fonction de médiation" assurée par ces individus faisant partie de l’élite, ayant des rôles sociaux par ailleurs variés et parfois plus déterminants pour leur position sociale ou du point de vue de leur stratégie individuelle que d’être "médiateur". Mais, plutôt que par des individus particuliers, la fonction de "médiation" peut aussi être assurée par des collectifs, associations et institutions ou plus exactement comme nous le postulons, par les dirigeants de ces associations et institutions, compte tenu de ce que dans ces collectifs les responsables jouent souvent un rôle éminent qui transforme leurs simples membres en faire-valoir. La fonction de "médiation" n’est donc pas abstraite, elle s’incarne dans ces membres de l’élite et comporte une dimension très accentuée de stratégie individuelle.

L’on peut en effet estimer que quatre grands cas de figure stratégique se présentent :

Mais dans tous les cas, tout autant que la composition sociale de la catégorie d’élite est hétérogène au Cameroun, la médiation s’insère dans une situation générale de polycentrisme qui caractérise les différentes arènes politiques du pays. L’on a affaire à une coexistence de divers centres de pouvoir, d’importance et d’aire de compétence différentes, plus ou moins articulés, hiérarchisés ou concurrents, et qui relèvent souvent de sédimentations historiques successives.

Il est à souligner que nombre de pouvoirs locaux de type traditionnel, chefs de village, chef de groupement, "notables", ont aussi une fonction de médiation, et font donc normalement partie de l’élite telle que nous l’envisageons globalement dans ce travail. La colonisation, on le sait, avait recouru pour son administration à ces intermédiaires indigènes qu’elle n’hésitait pas à introniser dans des fonctions de représentation politique traditionnelle ou pseudo traditionnelle. Et depuis ce temps, ces médiateurs "traditionnels" continuent de bénéficier de diverses rentes de position.

Pour revenir à la disposition cérémonielle de l’espace festif, à l’opposé de la tribune regroupant les membres de l’élite locale, s'agglutine la masse. 439

Cette masse présente généralement des régularités remarquables telles la prépondérance de femmes, la station debout en demi-cercle face à la tribune. En dehors des sympathisants du parti qui organise la fête et des spectateurs anonymes venus profiter du spectacle, cette masse s’organise en de nombreux groupes, sections ou comités de militants que l'on peut distinguer au travers de leur accoutrement identique, toujours bigarré, ou par des pancartes arborées par chacun de ces collectifs et qui permettent de déterminer le lieu de leur provenance.

En temps de pluralisme politique officiellement reconnu, la participation nombreuse à la fête électorale pourrait signifier son succès et l'adhésion massive aux discours qui sont prononcés sur les lieux de la fête, si tout ceci se traduisait de façon vérifiable dans le vote escompté. Justement, l'observation et l'analyse des résultats électoraux qu'obtiennent les différents protagonistes ne confirment pas toujours cette hypothèse.

Le centre du dispositif spatial, entre les élites d'un côté et la masse de l'autre, est réservé aux fusions et effusions collectives que l'énonciation des discours va occasionner. C'est le seul endroit du lieu de la manifestation festive où s'établit réellement et par moment une sorte de communion, de relation échangiste entre la représentation spectaculaire et la démonstration politique.

Comme le souligne Jean-françois Bayart examinant les symboliques vestimentaires du politique, le vêtement à l'instar du répertoire culturel, est instrumentalisé par ces acteurs politiques. 440 Ici l'adage selon lequel l'habit ne fait pas le moine, n'est pas vérifié et ne se vérifie presque jamais d'ailleurs car en Afrique, le vêtement permet en quelque sorte de dire qui est quoi. Dans les fêtes électorales en effet, l'accoutrement semble un excellent moyen de faire passer des messages politiques, qu'il s'agisse du pagne du citoyen du commun ou de la tenue des élites.

Le plus gros de la foule des participants à la fête électorale, c'est-à-dire les militants du parti organisateur du rassemblement, sont habillés aux couleurs et motifs identiques ; les vêtements qu'ils portent sont exécutés à façon dans une même pièce de tissu choisie afin de contribuer à la mise en scène, à la différenciation des participants : "le pagne du parti".

Le pagne du parti semble au Cameroun sinon une invention, du moins une innovation généralisée et vulgarisée à partir de l’expérience du régime présidentiel de parti unique. Celui-ci en imposa le port à tous ses militants, surtout à l'occasion des rassemblements d'importance, bien avant que l'on ne s'en inspirât dans le reste de la société civile, à l'occasion des rassemblement qui postulent les rites de commensaux: tontines, mariages, etc. C’est que "le pagne du parti" rassemble et égalise. De ce fait, il est un support symbolique par excellence du mythe de l'unité, qui deviendra en régime présidentiel de parti unique au Cameroun (cf. infra), le scénario régissant la théâtralisation politique, mobilisant et recevant son application dans la fête qui plaçait la nation tout entière en situation cérémonielle. Cette fête transformait les populations en une multitude de figurants fascinés par le drame où les engageait Ahmadou Ahidjo, le maître absolu du pouvoir dans le pays. Et "le pagne du parti" refaçonnait les acteurs sociaux dans un spectacle où ils représentaient non ce qu'ils étaient réellement, mais ce qu'ils devaient être et faire en fonction de ce que l'État, et donc le parti unique, attendait d'eux.

Avec le rétablissement du pluralisme politique à partir de 1991, beaucoup de partis politiques naissants sur la scène électorale vont mimétiquement adopter à leur tour un tissu de pagne qui, au moment de leurs rassemblements festifs, fonctionne lui aussi comme un emblème de reconnaissance, un symbole fusionnel.

En dehors des militants vêtus en "pagne du parti", le reste des participants à la fête électorale est endimanché. Nombreux sont ceux qui arborent par-dessus leur "tenue du dimanche" d'autres effets vestimentaires d'identification partisane. Ces autres effets vestimentaires ne diffèrent fondamentalement en rien de la panoplie du parfait supporter d'équipe de football, dans un pays comme le Cameroun où ce sport est roi. Il s'agit des articles ou parures tels les écharpes, les casquettes ainsi que les maillots de corps. L'on trouve même des chaussures comportant comme les autres effets vestimentaires sus-cités des motifs qui représentent les emblèmes du parti organisateur de la fête électorale.

Dans le monde paysan, il demeure encore quelques chefs traditionnels qui, à l'occasion du rassemblement festif apparaissent vêtus en tenue élimée d'ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, et coiffés d'un casque colonial noirci par la sueur et le temps.

S'agissant de l'habillement des élites lors de ces fêtes électorales, il relève comme à l'accoutumé et à quelques exceptions près, du répertoire vestimentaire occidental que cette catégorie sociale affectionne tant. Dans cette panoplie vestimentaire d'origine occidentale, le complet veston ostensiblement onéreux est en général conçu comme une marque de différenciation ou de position sociale. C’est en quelque sorte un véhicule de complétude qui semble procurer de la considération sociale.

Il est à noter que depuis la fin du régime monopartisan d'Ahmadou Ahidjo, sauf parmi les authentiques musulmans, le port du boubou ou de la gandoura, vêtement favori du président de la République, est presque tombé en totale désuétude. Pourtant, ce vêtement avait semblé devenir parmi les Camerounais non-musulmans, une sorte de certificat de conformité et d'ambition au sein de l'élite nationale dans ce régime de parti unique, un signe extérieur d'autorité et même de richesse que l’on s’octroyait. Ainsi, aux premières années de l’indépendance du pays, ce snobisme vestimentaire ne manqua pas de soulever quelques inquiétudes du côté des Églises catholiques qui crurent y voir une avancée de l’islam au sein des populations chrétiennes. 441

Finalement, la fête électorale c'est aussi l'opportunité offerte aux militants d'un même camp de se compter, de se montrer, d'intimider tout en se rassurant avant le scrutin. Et la disposition cérémonielle des participants à la fête, dans son respect des étiquettes et des protocoles, participe assurément, comme l'ensemble de la réunion du "romantisme du nombre" dont parle Max Weber.

Notes
431.

Balandier (Georges), Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992.

432.

Le Dictionnaire de Trévoux (1771) mentionne dans son article "élite", qu’il s’agit de" ce qu'il y a de meilleur dans chaque espèce de marchandise. Ce terme a passé de la boutique des marchands à d'autres usages… (troupes d'élite, l’élite de la noblesse)." Cf. , sur ces clarifications conceptuelles, Bottomore (Tom), Elites and Society, London, Routledge, 1993 (2e éd.), p. 1.

433.

Cf. Bottomore (Tom), ibid., p. 2. L'appartenance à une élite politique et sociale était associée à l'époque de la démocratie athénienne à l'exercice de fonctions électives. Le sens du mot élite s'est modifié sous l'influence de la philosophie politique moderne. À l'époque, celle de Vilfredo Pareto, le responsable politique n'exerçait pas une fonction politique majeure. Il n'était qu'un administrateur et un exécutant. Le véritable pouvoir était dévolu à l'Assemblée et aux tribunaux. Voir, Manin (Bernard), Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, p. 28.

434.

Bottomore (Tom), ibid., p. 3.

435.

Ibid.

436.

Lasswell (Harold D.), Lerner (David), Rothwell (Easton C.), The comparative study of Elites, Stanford University press, 1952, pp. 6-13.

437.

Almond (Gabriel A.), "The Elite and Foreign Policy" in Rosenau (James N.), eds., International Politics and Foreign Policy, New York, Free Press, 1961, pp. 269-270.

438.

En effet, la notion d’arène peut utilement être rapprochée d’une notion voisine comme celle de champ, largement utilisée par Bourdieu. Chez cet auteur, champ reste, comme toujours, un "concept ouvert", susceptible de variations et rétif à une définition univoque. C’est un "marché" (au sens métaphorique) où les acteurs dotés de "capitaux " divers (capital économique, symbolique, social…) sont en concurrence. C’est un certain type de structure sociale, autonomisée, avec ses institutions, ses agents spécialisés, sa hiérarchie de positions et son langage, structure qui est de plus intériorisée par les agents à travers un "habitus" qui génère leurs pratiques. C’est un espace de jeu et d’enjeux relevant d’un rapport de forces entre groupes sociaux. Mais dans tous les cas champ est d’un usage très "macro" et reste fondamentalement d’ordre structural, même si l’usage du "jeu" et les références à l’habitus introduisent une dimension stratégique et entendent prendre en compte les "prises de position" des agents. Un champ est avant tout" une configuration de relations objectives entre des positions, "un système de relations indépendant des populations que définissent ces relations"; ce qui n’est en aucun cas de l’ordre de l’interaction. Par contre "arène" nous semble une notion d’ordre plus interactionniste à contenu descriptif plus fort que champ. Si l’on considère la vie politique, nationale comme locale, en termes de "jeux", où se confrontent et s’affrontent les acteurs sociaux, autour des leaders et de factions, l’arène apparaît ,au fond, comme l’espace social où prennent place ces confrontations et affrontements. Cf. Bourdieu (P. ), Wacquant (L.), Réponses, op. cit. , pp. 71-89 ; voir également Bourdieu (P.), "Champ intellectuel et projet créateur", Les Temps Modernes, 1966, 246 : 865-906 ; Accardo (A.) et Corcuff (P. ), La sociologie de Bourdieu. Textes choisis et commentés, Bordeaux , Le Mascaret,1986.

439.

"Bikalit" est la désignation, un brin humouristique en dialecte eton, dans le Centre du Cameroun, de cette foule prenant part à la fête électorale par opposition aux "élites". "Bikalit" (au singulier" Ikalit ") pourrait être rendu par "les brouettes" en français.

440.

Bayart (Jean François) , L'illusion identitaire, Paris, Fayard ,1996, pp. 195-229.

441.

Bayart (J.-F.), L’État au Cameroun, op. cit., p. 103.