En général, la fête électorale s'inscrit dans un rôle d'effaceur momentané de misère. La veille de ce rassemblement, et parfois au cours même de son déroulement, de nombreux biens privés sont offerts aux populations.
Précisément, en dehors des effets vestimentaires (maillots, casquettes, pagnes et autres colifichets, gadgets et accessoires marqués à l'effigie du prétendant, du slogan de sa campagne électorale, des emblèmes ou du logotype de sa formation politique d’appartenance), la distribution concerne tout d'abord des biens alimentaires, qui souvent, pour nombre de paysans font quotidiennement défaut : il y a les zébus que l’on abat sur le lieu même de la fête pour en offrir la viande aux populations, des sacs de riz, de sel et bien d'autres aliments qui sont accompagnés de nombreuses boissons alcoolisées, "pour tout arroser" dit-on. Depuis le rétablissement des élections disputées, la distribution des biens concerne ensuite des espèces en billets de banque. Et le partage de ces différents biens entre membres des groupes réceptionnaires tourne parfois à des échauffourées où s'originent de nombreuses histoires de sorcellerie traduisant ou signifiant l'atteinte portée à l'esprit de communauté que l’on cherche chaque fois à raviver au moment des élections. 465
Pour quelques candidats aux élections, dont la presse privée locale se fait l'écho des dénonciations des dépenses engagées, au travers de la distribution de biens privés aux populations, les fêtes électorales constituent des lieux par excellence de corruption de l'opinion publique, d'achat de convictions politiques des citoyens, et donc de la manipulation gastronomique de leur conscience.
Si l’on peut comprendre que ces protagonistes matériellement défavorisés, parce que disposant de peu de ressources (économiques mais aussi politiques), en viennent à manifester leur désarroi par la dénonciation de la distribution de biens à laquelle ils ne peuvent eux-mêmes s’adonner, sous l’éclairage des pratiques culturelles traditionnelles ici projetées en politique, il paraît difficile de ne parler que de corruption.
Cette dénonciation des largesses à destination des populations appelées à voter s'inscrit dans la même perspective que celle développée par les analyses du fonctionnement de l'État en Afrique, qui dans un plan encore plus large que les seules pratiques électorales, mettent en évidence les modalités du clientélisme.
Les dites modalités du clientélisme sont multiples : attributions d'emplois, de passe-droits, de licences d'importation, de concessions forestières, de prébendes, de bourses, de places aux concours scolaires ou universitaires, de crédits bancaires, de marché administratif, de subventions, de facilités douanières, de détaxes, d'avantages professionnels, de primes, de sursalaires, de voitures et de logements de fonction, les concessions de "fiefs fonciers urbains" et aussi les indulgences pour toutes ces pratiques de corruption, de prévarication et de détournement de fonds. 466
Et comme le note Jean-François Bayart, 467 ces pratiques clientélistes sont généralisées à tous les niveaux de l'échelle sociale.
Cependant, pour qu'elle soit pleinement appréhendée, il faut prendre en considération une première réalité selon laquelle cette distribution de biens privés dans le processus de sollicitation du suffrage électoral des populations, et donc de leur sensibilisation à la participation aux élections, en étant menée par tous ceux qui, en tant que protagonistes aux élections, ont un intérêt personnel immédiat à recevoir leur légitimité du vote, constitue malgré les divergences d’appréciation une possibilité de mobilisation qui ne s’oppose nullement aux principes du jeu électoral. Ensuite, s’ajoutant à d’autres gratifications plus abstraites, aux promesses de vie meilleure, de politiques plus justes, cette distribution de biens privés constitue un stimulant localement bien plus efficace de la participation politique des populations a priori supposées n'en percevoir ni l'utilité, ni l'efficacité, et pouvant donc aisément substituer le principe de l'élection, si elles en concevaient la possibilité, à d'autres modalités de rapport politique incorporant par exemple la violence .
Certes, quand les candidats disposent de moyens financiers inégaux, certains d’entre eux se retrouvent en position de monopole, et le libre choix de l’électeur pourrait alors être faussé. Cela peut également constituer une forme de pression moderne qui s’apparente à la fraude caractérisée. Par surcroît, cette situation peut aboutir à une véritable résurrection du système de la candidature officielle, lorsque l’égalité des candidats est rompue au bénéfice de ceux qui disposent de moyens matériels considérables , des fonds de l’État ou d’une autorité légale sur les services publics.
Mais, il faut également souligner que cette distribution de biens privés aux populations appelées à voter, ainsi d'ailleurs que les autres pratiques dites clientélistes – toujours étonnantes au regard des étrangers –, se doivent d’être situées et envisagées dans la logique d'une vision "africaine" du monde. Celle-ci se caractérise par la permanence des réquisits communautaires si prégnants que les systèmes de représentation qu'ils engendrent chez l'individu, excluent de fait toute pensée de l'autonomie: la logique de la dette. En quoi consiste-elle ?
En envisageant ce qu’il intitule "La généralisation de la société de clientèle" au Cameroun, 468 Luc Sindjoun parle de la politique du "njangui", et attribue cette formule "pidgin-english" au Premier ministre Simon Achidi Achu, qui aurait affirmé que "politics na njangui" ce qui signifie littéralement que "la politique, c’est la tontine", et qui peut vouloir autrement dire que la politique, c’est l’échange. Et Luc Sindjoun de montrer donc qu’au Cameroun, la politique, c’est le donnant-donnant, qui suppose une solidarité spontanée ou obligée entre partenaires : ici, l’État et la société. Il poursuit son exposé en affirmant que : "Dans le contexte d’élections concurrentielles, les réalisations de l’État dans les localités sont désormais conditionnées par le soutien électoral apporté aux candidats de l’ex-parti unique ou doivent entraîner une adhésion au régime. La "politique du njangui" ne souffre plus d’exception au nom d’un intérêt plus général. C’est ainsi qu’au lendemain des élections présidentielles de 1992 et municipales de 1996, la victoire de John Fru Ndi et des candidats SDF dans la province de l’Ouest a été interprétée dans certains milieux comme une ingratitude des populations vis-à-vis d’un régime ayant œuvré pour son bien-être à travers la construction d’infrastructure et la nomination de plusieurs de leurs "enfants" au gouvernement. On a ainsi culpabilisé de manière quasi officielle les Bamiléké appelés à se "racheter", et ceci s’est traduit par une diminution sensible de leur nombre dans le gouvernement de novembre 1992. Aux élections municipales de janvier 1996, la défaite des listes de l’ex-parti unique "conduites" dans la province du Nord-Ouest par le Premier ministre Simon Achidi Achu, l’homme de "la politique du njangui", a connu la même interprétation".
Cette analyse que fait Luc Sindjoun de l'échange entre ceux qui détiennent le pouvoir et la société civile au Cameroun repose sur des données certainement établies. En tout cas, elle partage l’essentiel de l’inspiration qui sous-tend la nôtre dans ce travail de recherche. Cependant "la politique du njangui" et le compte rendu que L. Sindjoun fait de cette réalité ne permettent pas de cerner suffisamment en quoi correspond la logique de la dette qui fonde la mobilisation électorale des citoyens, ni d’appréhender son ancienneté ou ses racines dans les traditions locales.
Prenons donc l'argent, tout d’abord. Il fait partie de l'échange et des biens distribués aux populations dans le cadre des opérations de campagne et de mobilisation électorales. Sa place est centrale dans cet échange, et elle le devient de plus en plus dans un contexte contradictoire de monétarisation accrue de l'ensemble des rapports sociaux et de raréfaction simultanée des ressources monétaires au Cameroun.
Au-delà du caractère agonistique qui est le sien dans la bataille électorale, l'argent remplit une fonction de médiation et de régulation dans différents rapports sociaux entre ressortissants d'un même collectif. En effet, la richesse des uns est parfois ressentie par les autres comme collective : la présence d’un riche au sein d’une communauté reflète la réussite sociale du groupe qu’il incarne et qui se reconnaît en lui, pourvu qu’il respecte les devoirs de redistribution inhérents à sa situation privilégiée. 469 Cette fonction de médiation et de régulation de l'argent trouve elle aussi son accomplissement dans le fonctionnement de la dette. Et cette dette participe à son tour à l'assignation des places et au-delà, à la réussite ou l'échec du groupe auquel l'on appartient et auquel l’on se réfère. À ce titre l'argent est un moyen d'accumuler divers capitaux (économique ; social : clientèle, obligés ; culturel ; symbolique: prestige, influence, rang).
Cependant la logique de la dette communautaire limite cette accumulation (elle ne doit pas être personnelle) et interdit la jouissance purement individuelle des capitaux accumulés.
Dans son analyse portant sur l’organisation sociale et les normes éthiques des anciens Bëti au Cameroun, Philippe Laburthe-Tolra parvient au constat selon lequel, jusqu’à nos jours, "la richesse en pays Bëti n’est jamais considérée comme un but, mais uniquement comme un moyen d’établir ou d’exprimer un pouvoir direct ou indirect (prestige) sur les hommes. 470 Un vieux sage de ses enquêtés le lui confirmait qui disait que :
‘"Le pays ne veut pas que l’on accumule les richesses rien que pour soi, sans en donner aux autres, quand on a, il faut partager ; si quelqu’un te donne dix, il faut aussi lui donner dix ; sinon, on est en palabre avec les voisins, ça ne marche pas". 471 ’En d’autres termes, le riche ou le nanti doit allégeance à son clan, son lignage ou à l’ethnie dont il est originaire. Et le devoir de solidarité a une signification concrète en direction des siens, de sorte que la véritable entorse au code éthique serait le manquement aux règles de la solidarité familiale. Ceci voudrait dire que, si l'appropriation individuelle de l'argent est approuvée ou même encouragée dans les systèmes locaux de signification, la logique de son utilisation reste en partie soumise à un impératif de redistribution réglé par la primauté du collectif sur l'individuel. 472
Ainsi qui donne en permanence ou distribue des biens en période électorale, réalise un placement ou accède ainsi à un statut différent dans la communauté attributaire de ces biens ou confirme ce statut, celui d'aîné créancier, c’est-à-dire celui qui peut légitimement prétendre à l’éligibilité, au suffrage des siens ou à l'intégration. Car en effet, ce n’est qu’au prix de ces largesses que la communauté accepte de voir un individu s’élever parmi ses pairs, parce que la dette communautaire est aussi au centre des processus d'intégration (donc, a contrario d'exclusion). Et ceci est vrai dans les différents domaines de la vie sociale, celui du travail par exemple – qui veut se faire embaucher paiera son futur employeur – celui du politique également – qui veut se faire élire, entretien une "clientèle" et "achète" donc ses futurs électeurs par des largesses.
Et qui ne donne pas, alors qu’on sait qu'il est en mesure de donner, alors que son statut et sa situation financière lui font une obligation de générosité (plus un homme est riche plus il est sommé de le paraître et de partager), alors que sa position connue ou son activité ponctuelle lui imposent de donner (le candidat aux élections qui postule au suffrage des électeurs) ou encore, alors qu'il devrait donner en retour (l'élu pour lequel l'on a précédemment voté, nonobstant la fiction qui se veut fondatrice en pluralisme politique selon laquelle cet élu cesse d'appartenir à son groupe social d'origine pour devenir le représentant de la totalité de la nation), celui-là est menacé, ignoré ou simplement tenu à l'écart, ou mis à distance de ladite communauté et suscite même parfois une franche hostilité à son égard, parce que tout avare, comme toujours, est suspect de sorcellerie.
Si dans le passé en effet, un nanti s’avérait avare, "‘il risquait de se faire accuser de sorcellerie, imposer des frais de rituels, et son prestige en souffrait’". 473 Il en est de même aujourd’hui car, qui ne donne pas est exclu temporairement ou définitivement de certains champs sociaux tels les organes décisionnels de sa communauté d'appartenance dont il ne pourra (plus) faire partie, parce qu'il n'a pas ou ne remplit pas son contrat tacite et comme l'on dit parfois, en ce que nous convenons d'appeler le "langage idiomatique camerounien", parce qu’"il ne parle pas bien" (sous-entendu pour être écouté) ou de manière encore plus explicite parce qu'"il ne donne pas l'eau", ou "le gombo" (ces deux matières qui, au plan symbolique de ce langage sont sensées en quelque sorte lubrifier les rapports communautaires ou sociaux). Cette exclusion étant en général vécue comme un déshonneur, comme une honte, on comprend dès lors que chacun fasse tout pour échapper à cette déchéance communautaire en donnant tous les gages possibles de sa bonne volonté.
Qui donne est en effet présent dans le circuit de la dette par ses contributions, par ses aides, ses largesses, par sa capacité à obliger les débiteurs (électeurs ) ou inversement par sa capacité à honorer sa dette à lui, à répondre aux espérances qu'on place en lui. Qui donne intègre et sert ainsi les mécanismes communautaires d'intégration auxquels lui-même est involontairement soumis.
Ces processus d'intégration fonctionnent selon un ensemble d'exigences, de devoirs et de droits, fortement codifiés, qui plongent dans les traditions anciennes, dont la fonction ultime est d'assurer la pérennité d'une distribution des rôles, des fonctions, des pouvoirs, qui s'ordonnent selon une hiérarchie elle aussi prédéfinie, dont l'argent distribué paraît davantage un moyen de la reproduction qu'il n'est le moteur de la production des hiérarchies nouvelles entre individus ou entre groupes sociaux.
Sur cette base, il ne nous semble pas fondé que l'on puisse pertinemment considérer que l'argent est un élément qui pervertit les rapports électoraux – même s'il investit chaque jour un peu plus les rapports sociaux – ni que sa possession, en grande quantité de façon à pouvoir s’autoriser des largesses auprès des populations, devient une nouvelle modalité de mobilité et d'identité sociales, la richesse ayant toujours été l'un des signes de la réussite.
Certes, l’on peut observer que l'argent acquiert au plan général une place de plus en plus importante dans les rapports sociaux, compte tenu des difficultés économiques. Mais, à ce qu’il paraît également, il doit l'accroissement de ses fonctions (de simple médium, il devient support et régulateur), non à la monétarisation des échanges, mais plutôt à une perte d'efficace des mécanismes de redistribution qu'occasionne la crise (cf. infra). Si l'argent investit les discours en tant que préoccupation dominante, la monétarisation des échanges sociaux n’entre ni en contradiction ni en conflit avec les principes et modes d’intégration habituels. Tout au plus, cette monétarisation exacerbe les logiques sociales préexistantes, en amplifiant les différenciations sociales, les tensions ainsi que les conflits.
Pour ce qui est à présent de la distribution des biens autres que l'agent, rappelons ce qui est pertinemment écrit par Denis Constant Martin qu'en Afrique et donc au Cameroun, le pouvoir est échange, même inégal : "‘Celui qui exerce une autorité doit distribuer les biens auxquels il accède de ce fait (ou, à l'inverse, mettre à l'actif de sa communauté les richesses dont la possession a favorisé son arrivé au pouvoir). La légitimité est donc essentiellement liée à la capacité de redistribution (matérielle ou symbolique) ; elle s'érode lorsque les citoyens sont persuadés qu'il y a manquement injustifié à cette obligation’": 474 Quiconque possède donc de la richesse, quiconque occupe un poste de pouvoir, si modeste soit-il, est tenu d'en faire bénéficier les membres de sa famille et les gens de son village ou s'il s'agit d'un homme de plus grande importance, à une plus grande échelle, les gens de sa région ou de son ethnie. Ainsi l’exige le même principe déjà précédemment relevé : le principe de la dette communautaire.
Cette redistribution s'opère en général le long des réseaux communautaires : elle circule par le canal des relations de parenté, d'alliance, de solidarité villageoise, tribale, ethnique ou régionale. C'est par ces mêmes réseaux communautaires que transitent les transferts de revenus, de faveurs et d'avantages, des circuits formels et officiels aux circuits parallèles, des citadins à leurs parents du village, des plus riches aux plus démunis : aides familiales, hébergements, interventions pour un emploi, frais de santé, de scolarité, de participation aux cérémonies coutumières…
De la même façon, par ces mêmes réseaux communautaires remontent les pressions multiples qui rappellent à l'ordre de la solidarité quiconque a "réussi", toutes pressions qui comportent l'alternative de la soumission ou l'exclusion, qui se déploient donc sur un terrain culturel prédisposant à y céder et expliquent que le sollicité, "sachant" consciemment ou même inconsciemment ce qu'il doit à son entourage communautaire, ce qu'il est en droit d'en attendre en retour (la solidarité) et que, lorsqu'il souhaite par exemple se présenter aux élections ou lorsqu’il veut manifester son soutien ou son appartenance à un camp (parti ou régime politique) en vient systématiquement et naturellement à ne se retourner que vers ses origines. Le même constat est fait par Michel Prouzet lorsqu’il écrit concernant la parenthèse libérale qui s’est refermée au Cameroun en 1966 que : "‘La règle impérative pour tout politicien consistait à utiliser les structures traditionnelles locales pour servir ses ambitions personnelles’". 475
De tout ce qui précède proviennent sans doute les déductions selon lesquelles dans les sociétés africaines en général, l’allégeance n’est pas due à un État, nécessairement abstrait quant à ses exigences éthiques, mais aux proches, c’est-à-dire à ceux du clan, du lignage, de l’ethnie.
Aujourd’hui encore, comme dans le passé, tout individu qui aspire à la notabilité, par la voie des élections par exemple, doit se montrer "partageur" : "‘La richesse qu’il a acquise, il doit la redistribuer, et d’abord à ses dépendants ; mais aussi, bien qu’il ne soit lié là par aucune obligation définie, on s ‘attend à ce qu’il en fasse profiter ses pères, ses frères, ses voisins, voire l’étranger de passage à qui il donnera une large hospitalité ; il est le grenier du pays, celui chez qui on est sûr de trouver toujours à manger ; et vont profiter à plus forte raison de sa richesse ceux envers qui il a des devoirs précis : beaux-parents et neveux par exemple. Le respect et l’éloge prodigués au riche d’autrefois, (dont la cour était pleine de "perroquets", c’est-à-dire de flatteurs supposait donc l’attente de contreparties, et le riche devait faire preuve d’une singulière astuce pour paraître libéral sans se ruiner ou sans entraver définitivement son ascension’". 476
Ainsi le devoir de solidarité a une signification concrète en direction des siens et la véritable entorse au code éthique serait le manquement aux règles de la solidarité familiale. C’est pourquoi, les dysfonctionnements notés dans les administrations africaines pourraient relever d’abord, non pas du comportement délictueux de quelques-uns mais d’un comportement social généralisé, érigé en règle de bienséance.
Le plus important pour notre propos c'est qu'à ce niveau de l'analyse réapparaît cette fois plus nettement nous semble-t-il, la même logique, celle de la dette, qui se présente finalement comme le moteur de la solidarité communautaire, mais également comme le fondement de la solidarité socio-politique : c'est ainsi en effet que peut s'expliquer la mobilisation "instrumentale" des références communautaires qui fonde la logique rhétorique des discours d'appel au vote, ainsi que la distribution des biens privés aux populations appelées à voter.
Mais l’on peut également envisager et expliciter cette pratique de distribution de biens aux populations sur la base d’une autre ligne de lecture : une lecture socio-anthropologique des faits, telle que nous l’inspirent deux des principaux auteurs des références disciplinaires qui sont les nôtres dans ce travail : Mauss et Durkheim. À partir de cette nouvelle lecture en effet, la distribution de biens privés peut apparaître comme une offrande, comme un investissement ou comme un placement social à partir duquel le vote des électeurs va finalement constituer une des retombées.
Concernant la sorcellerie, forme sociale sur laquelle nous reviendrons largement (cf. infra), la littérature est abondante. Nous pouvons déjà citer quelques ouvrages dont en particulier Laburthe-Tolra (P.), Les seigneurs de la forêt. Essai sur le passé historique, l’organisation sociale et les normes éthiques des anciens Bëti du Cameroun, op. cit., et du même auteur, Initiations et sociétés secrètes au Cameroun. Essai sur la religion bëti, op. cit.. Voir également Bouteiller (Marcelle), Sorciers et jeteurs de sort, Paris, Plon, 1958 ; Terrail (Jean pierre), "La pratique sorcière", Archives de sciences sociales des religions, 48, 1, 1979 ; Favret-Saada (Jeanne), Les mots, la mort les sorts, Paris Gallimard, 1977.
Pour une présentation synthétique de l'ensemble de ces pratiques clientélistes et de leurs limites, voir Marie (Alain), "État, politique urbaine et société civile. Le cas africain", in Revue Tiers Monde XXIX, 116, oct-déc. 1988 : 1147-1169.
Bayart (J.F), L'État en Afrique, op. cit.
Cf. "Le Cameroun dans l’entre-deux", Politique Africaine, n° 62, juin 1996, p. 65.
Bayart (J.-F.), L’État au Cameroun (préface à la seconde édition), op. cit., p. 15.
Laburthe-Tolra (P.), Les seigneurs de la forêt, op. cit. p. 372.
Ibid, p. 374.
Cette analyse est indirectement corroborée par les dénonciateurs de la pratique de distribution de biens privés, lorsqu'ils indiquent ce à quoi l'argent dépensé pourrait être destiné et désignent à cet effet la misère du peuple que l'on pourrait soulager grâce à ces sommes allouées aux joutes gastronomiques.
Laburthe-Tolra (P.), Les seigneurs de la forêt, op. cit., p. 360.
Cf. Les Afriques politiques, op. cit., p. 166.
Prouzet (M.), Le Cameroun, op. cit., p. 42.
Laburthe-Tolra (P.), Les seigneurs de la forêt, op. cit., p. 360.