En parlant de violence électorale, précisons qu’il s’agit d’envisager cette forme sociale en tant qu’elle revient à “ aller à l’encontre de ” la pratique électorale régulière, qu’elle désigne une dénaturation (ou une altération) qui ne va pas dans le sens créateur de l’altérité dans les jeux du pouvoir, et qu’elle consiste à porter atteinte à ce qui devrait être inconditionnellement respecté. La violence électorale se concrétise essentiellement dans un répertoire d'actions politiques fondamentalement opposées à l'exercice libre du droit de suffrage. Notre travail ne consiste pas à cerner totalement cette forme sociale, mais à en déterminer quelques modulations.
Cependant, quelques nuances d’appréciation s'imposent concernant cette période transitoire. En l'absence de compétition électorale dans le pays, c’est-à-dire hors des instances du parti unique, des tensions se développent assurément. Ne trouvant pas d'exutoire, à coup sûr, le centre politique devient peu à peu la cible de toutes les colères, de toutes les irritations qui cependant n'aboutissent pas en faits de violence manifeste avant 1990. En tout cas, Il y a lieu d'inférer que cette phase de transition est également à quelques égards le prolongement du régime précédent (celui d’Ahmadou Ahidjo) pour la juste raison que le parti unique "démocratisé" ne serait démocratique que de façade car la véritable démocratisation n'est pas le fait d'organiser la compétition des personnes, mais celle des programmes ou des objectifs.
Mais dans l'optique de notre étude, ce qui nous semble devoir être souligné et qui justifie notre choix de ne pas avoir à explorer cette période, c ‘est qu’elle est transitoire et consensuelle (or nous proposons de privilégier la conflictualité), car l'aménagement d'un espace minimal de liberté d'opinion ne fût-ce qu’au sein du parti unique de 1982 à 1990 se traduira par une absence notable de la violence, sans doute grâce au "discours du RENOUVEAU" provoquant une décrispation de la société. 586
Finalement, la violence dévalorisant le fait électoral sera ici envisagée sous deux chefs définis selon ses usages : la violence comme technique de pouvoir, dont la tendance totalitaire du parti unique d'Ahmadou Ahidjo est l'illustration, et dont il ne saurait être question ici que d'en signaler quelques lignes de forces essentielles relatives à notre objet (section1) ; la violence comme moyen ou comme défi, telle qu'elle se présente par exemple dans les revendications de la tenue des assises d'une conférence dite "nationale et souveraine", et définissant une approche spécifique et les risques propres d’un fonctionnement démocratique au Cameroun (section2).
Sur le dispositif législatif et réglementaire concernant la violence électorale, cf. notamment le code pénal camerounais, art. 123, al. 2 ; art. 7 de l'arrêté du 27 avril 1997 ; art. 16 al. 2 et art. al 2 de l'article 11 de l'arrêté du 27 avril.
Au sujet des velléités sécessionnistes des anglophones camerounais, voir la déclaration de Buéa dans Politique africaine, 51, 1993, pp. 140-151 ; Courade (G.) ; "Marginalité volontaire ou imposée ? Le cas de Bakwéri (Kpé) du mont Cameroun", cah-ORSTOM Sci-Hum, 18 (3), pp. 357-388. Il y a également N. Kofele-Kale (dir.), Tribesmen and Patriots : political culture in a Poly-ethnic African State, Washington DC, University Press of America, 1981 ; Mukong (A.) ; The Case of the Southern
Cameroons, CAMFECO, 1990 .
La phase de parti unique aménagé commence au Cameroun avec le changement au sommet de l'État, le pouvoir passant le 6 novembre 1982 d'Ahmadou Ahidjo démissionnaire à Paul Biya le remplaçant. Elle apparaît résulter d'une prise de conscience de l'inadéquation entre le mode de fonctionnement du parti, les besoins et exigences d'une démocratisation de la vie politique exprimés de l'intérieur même de l'appareil partisan. Cette mise en cause fonctionnelle du parti unique va donc aboutir à un mouvement de renouvellement doctrinal caractérisé par une certaine ouverture d'esprit que l'on note par rapport à la période précédente, et dont l'essentiel est contenu dans Pour le Libéralisme communautaire, essai politique où Paul Biya aborde la questionde ce parti unique en termes de problème à résoudre, et non plus de solution définitive. Aussi écrit-il que "La nécessité d'un parti unique dans la phase actuelle de notre histoire et, par conséquent, le rejet provisoire du multipartisme, s'imposent au sens patriotique de tout Camerounais réellement soucieux du destin de son pays". Au parti unique, Paul Biya confie une mission pédagogique : "Après avoir façonné l'esprit unitaire du peuple camerounais et inscrit dans les faits sa marche triomphante vers la démocratie, le parti unique apparaîtra, le moment venu, comme ayant été le meilleur laboratoire d'une véritable démocratie pluraliste au Cameroun, l'antichambre nécessaire du multipartisme dont l'avènement mesuré, méthodique et responsable, constituera une étape dans la réalisation de notre projet démocratique". Entre 1982 et 1990, de telles considérations qui font donc partie du "Discours du RENOUVEAU", participent sans doute à l'apaisement ressenti dans le pays après une période de dictature implacable. Cf. Biya (Paul), Pour le Libéralisme communautaire, Paris, Favre/ABC, 1987, p. 51.