Dans cette analyse de la construction du vote depuis son introduction au Cameroun en 1945, le second chef défini pour notre propos sur la violence dévalorisant le fait électoral consiste à envisager cette forme sociale à la fois comme moyen et comme défi.
Dans cet usage, on retrouve la retrouve donc au Cameroun dès la libéralisation politique marquant officiellement la fin du régime présidentiel de parti unique, mais intervenant comme nous le verrons, dans un contexte de crise où le pouvoir politique en lui-même se retrouve contesté (et non pas seulement ceux qui l’exercent à ce moment là), où une partie de ses soutiens se dérobe, où la “ dynamique ” des affrontements compromet les relations habituellement en vigueur entre les groupes sociaux, et où se retrouvent donc modifiées les représentations et les croyances sur l’organisation sociale et politique du pays.
Ce contexte de crise constitue l’occasion de diverses mobilisations. Mais il va surtout permettre à l’extrémisme politique de s’exprimer au Cameroun, celui-ci étant entendu comme l’acquiescement actif de la part d’un groupe de personnes à une conception de la vie politique favorisant l’usage de la violence, sans que cette conception soit en réalité le produit de la crise. S’estimant exclu des bénéfices de l’exercice du pouvoir, au prétexte de la revendication d’une modification de cette situation et de la transformation des règles politiques qui ne leur donnent guère de chance d’accéder au pouvoir, ce groupe de personnes, structuré en formations politiques, associations et autres formes d’action qui garantissent leur cohésion, entreprend donc une opération de prise du pouvoir, une tentative de coup d’État, d’autant plus que les affrontements que suscite ce groupe à travers le pays lui font croire à la réalisation possible d’une telle éventualité, d’autant également que ces affrontements font croire à une “ perte de légitimité ” du régime en place.
Concernant l’acte électoral, tel qu’il s’est toujours déroulé jusque-là dans le pays, c’est la rupture momentanée. Cette rupture implique à ce moment-là “ qu’on ne joue plus le jeu, qu’on le dénonce comme une tricherie, qu’on se place hors du système et contre lui ”. 750 Néanmoins, un élément ne change pas : c’est le principe même de la construction du vote en général.
Tout commence à partir de 1990 lorsque, en écho aux bouleversements des pays de l’Europe centrale et orientale, les populations camerounaises manifestent leur aspiration à plus de liberté et de démocratie. Le pouvoir en place est forcé de reconnaître officiellement la possibilité effective de l'existence dans le pays de différentes organisations, causes et influences politiques, sans qu'elles soient nécessairement réductibles les unes aux autres, ni dérivables les unes par rapport aux autres, mais se trouvant toutes dans des relations d’interaction et d’opposition réciproques sanctionnées par les élections : le pluralisme. Par rapport au régime jusque-là connu au Cameroun, celui institué par A Ahidjo, c’est d'une avancée significative vers la démocratie qu’il s’agit. Mais, à ce moment également où l’on pouvait justement se féliciter de la paix civile retrouvée au travers du pluralisme politique ainsi réinstitué, profitant de la vague de démocratisation s’inscrivant dans une perspective de changement vers une ère politique nouvelle, un Mouvement de défiance envers les élections ne tarde pas à s’ériger dans le pays : c’est le Mouvement de revendications de la tenue d'une conférence dite "nationale et souveraine" au Cameroun.
À ses débuts, ce Mouvement, constitué par une opposition politique subitement nombreuse et déterminée, fait une large part à l'usage matériel de la violence aux dépens des citoyens dans le but de réaliser les objectifs politiques qu’il s’est fixés. Mais sous l’effet et l’usure du temps, cette violence se transforme peu à peu – fait majeur –, pour devenir moins des atteintes directes, corporelles, contre les personnes, mais de plus en plus une "violence parlée", essentiellement dirigée à l'adresse du pouvoir en place ainsi qu’à celle de ses soutiens, pendant que le pluralisme officiellement reconnu s'installe et s'affirme.
Touraine (Alain), Pour la sociologie, Paris, Seuil, Coll. Points, 1974, p. 195.