A. – Les revendications de la tenue des assises d'une conférence dite “ nationale et souveraine ” : une action anti-institutionnelle de contournement des élections par l’extérieur.

Le rétablissement du pluralisme politique, qui fut déjà un élément intrinsèque de la période de décolonisation, se caractérise à ses débuts au Cameroun par les revendications des assises d'une conférence dite "nationale et souveraine". Ces revendications ne prendront fin qu’avec l'acceptation d'une partie de l’ensemble des acteurs politiques du pays de se soumettre au verdict des urnes. Mais, la fin de l’agitation politique dans le pays arrive bien tard, c’est-à-dire bien après que de multiples actes de violence aient été commis dans l’optique inavouée d’un Mouvement né de cette circonstance, de prendre le pouvoir dans le pays, en contournant le rituel démocratique du vote des citoyens.

Pour rendre compte de cette expérience de violence et afin de fonder notre réflexion d’un point de vue théorique, il nous paraît nécessaire de faire un bref détour par ce que l’on sait d’un point de vue théorique sur les mouvements sociaux en général : qu’ils évoluent dans des arènes où la quête d’influence les amène à des alliances et des mutations ; que les mouvements sociaux sont généralement sujets à se positionner le long d’un spectre continu qui va de la protestation la plus spontanée au parti politique le plus hiérarchisé, c’est-à-dire de l’expression la plus informelle à la plus formelle. Si la protestation offre l’avantage d’une action beaucoup plus libre pour ses participants, elle présente aussi des coûts : elle consomme beaucoup d’énergie immédiate dont le suivi est quasi impossible sans une organisation quelconque pour l’assurer. En outre, elle suscite facilement une fragmentation des tendances.

Pour toutes ces raisons et parce que la distinction n’est pas toujours aisée entre l’expression collective en elle-même et ses composantes, aux fins d’une exposition claire des faits, les deux termes de Mouvement d’une part, et Nouvelle Opposition de l’autre part, seront employés dans cette étude comme synonymes. Le Mouvement de revendication – à bien distinguer de l’action collective en elle-même – concerne un groupe de personnes auquel nous nous référons techniquement pour désigner des challengers face aux autorités en place, en suivant la perspective de l’affrontement. Il s’agit précisément des fractions non intégrées des élites du pays, tenues à l’écart ou expulsées des positions prébendières qu’ils occupaient jusqu’alors. Vis-à-vis de l’expression collective des citoyens, cet aréopage d’individus se prétendant porteur des revendications populaires se découvrira en réalité un groupe de tacticiens calculateurs faisant valoir leur cause au travers d’une stratégie implicitement révélatrice : entretenir le chaos dans la société, maintenir l’insécurité dans la population par l’agression physique, jouer du désordre pour pousser l’État à l’ordre extrême, totalitaire, afin de provoquer son rejet et de pouvoir réellement se mettre “ à la tête des masses ”.

Aussi, faut-il signaler que si le langage courant, pour lequel nous avons régulièrement opté, autant que nous le pouvions dans ce travail, envisage un mouvement social simplement comme une action de protestation collective, dans la suite de cette étude, nous verrons plutôt que le Mouvement s’en distingue. Son action va plus loin, en amalgamant toutes les dimensions de la protestation, en cherchant à raviver les consciences communautaires particulières, en prônant des attitudes de rupture par l’appel à la violence, en ayant finalement pour objectif politique spécifique réel : la prise du pouvoir politique en se servant du désarroi social des citoyens et leur aspiration à prendre eux-mêmes en mains leur destin.