1. – Le primat de la violence sur le processus des élections : le déroulement des faits.

Tout commence donc en 1990, avons-nous dit, lorsque après quelques convulsions de caractère politique coûtant des vies humaines, 751 le premier Congrès Ordinaire du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti politique au pouvoir, 752 s'ouvre à Yaoundé du 20 au 28 juin 1990.

Les travaux de ce Congrès décident de la mise en œuvre au plan politique d'un programme de réformes dont les aspects essentiels sont l'instauration du multipartisme dans le pays et l'abolition de la législation d'exception de 1962, qui permit à A. Ahidjo, comme nous l’avons vu plus haut, d'éliminer rivaux et opposants (cf. supra). Il est à noter qu’avec ce Congrès, s'achève la phase que nous avons désignée comme étant celle de la transition – 1962-1990 – car, la session ordinaire de l'Assemblée Nationale qui s'ouvre à son tour le 6 novembre 1990 adopte au mois de décembre de la même année, une loi qui, 753 tout en mettant fin au système monopartisan institue définitivement le multipartisme au Cameroun.

Mais, cette ouverture désormais complète du jeu politique ne suffit pas à satisfaire nombre d’acteurs politiques qui en réclament davantage et s'organisent en Mouvement où l'on retrouve les dirigeants des partis politiques légalisés, des responsables d’associations laïques et de confessions religieuses ainsi que beaucoup d’autres hommes politiques en rupture de portefeuille gouvernemental. 754 Les exigences de ce Mouvement concernent : l'adoption d'une amnistie générale permettant la libération de prisonniers politiques, le retour des exilés et, à l'image de ce qui se passe à ce moment-là dans cet autre pays africain, le Bénin, traversé lui aussi par "le Vent de l'Est", la tenue d'une conférence dite "nationale et souveraine" au Cameroun.

En général, l’autorité politique ne manque pas de “ parler ” à partir du moment où se pose la question de sa légitimité. Aussi, même si la réponse du chef de l'État se fit un peu attendre, l’on savait de toute façon qu’elle arriverait, ce qui fut le cas en date du 23 mars 1991. À l'issue d'une réunion du bureau politique du R.D.P.C. en effet, pour la première fois, le chef de l'État va s'exprimer sur la question d’une conférence nationale dont les assises sont réclamées par nombre de Camerounais. Dans son discours, le chef de l’État juge cette instance sans objet et sans fondement légal. 755 Il n'en fallait pas plus pour enflammer les passions, et la crise de prendre l’aspect d’un drame à personnages et décors réels. Aussitôt en effet, le temps de la fin de ce discours du chef de l’État, à Douala, bastion de la Nouvelle Opposition, la violence explose : il y a des attaques généralisées d'édifices publics, ainsi que des affrontements ouverts contre les "forces de maintien de l'ordre"...

Mais, quelques jours plus tard alors que le calme semble être revenu, le chef de l'État finit par concéder une amnistie visant avant tout les personnes impliquées dans une autre tentative de coup d'État, celle d'avril 1984. À cette mesure du Président de la République viennent s'ajouter celles de l'Assemblée Nationale.

Réunie en session extraordinaire du 18 au 22 avril 1991, l'Assemblée Nationale adopte quant à elle, certaines modifications de la Constitution dans le but de réinstituer le poste de Premier ministre supprimé le 25 janvier 1984 par le même type de procédure. Elle décide en outre de ramener la date des élections alors prévues en avril 1993 à fin 1991 et proclame aussi une amnistie générale concernant cette fois tous les prisonniers politiques.

Pendant ce temps, malgré toutes ces mesures décidées au plus haut niveau de l'Exécutif et du Législatif, l'agitation politique ne cesse de s'amplifier : le 10 avril à Bafoussam, dans l’Ouest du pays, une personne trouve la mort dans une émeute où la foule tente de prendre d'assaut la prison afin d’en libérer les détenus ; le feu est mis au siège de la société des brasseries du Cameroun à Douala, alors que les vendeurs à  la sauvette manifestent dans les rues, les conducteurs de taxi, arguant de la hausse du prix du carburant et des exactions et tracasseries dont ils se disent victimes, entrent en grève.

À l'analyse, tout se passe comme si chaque nouvelle concession du pouvoir politique, au lieu d'apaiser, incitait plutôt le Mouvement à relever le niveau de ses exigences générant dans une partie de la population des réactions qui ne relèvent plus du simple jeu politique, mais de la dramatisation exprimant le refus de l’apaisement. En observant ce qui se passe hors des frontières nationales et en particulier au Bénin, c’est-à-dire la mise en sursis du pouvoir effectif du chef de l’État dès l’ouverture des travaux de la dite conférence, l'on comprend mieux le refus du gouvernement de céder à ces exigences, mais également la radicalisation des positions de part et d'autre.

En effet, forte des premières concessions jusque-là obtenues face au pouvoir, la Nouvelle Opposition veut aller plus loin dans sa tentative de contraindre le pouvoir à convoquer une conférence nationale. Elle fixe donc une date limite – un ultimatum en somme – au chef de l'État pour qu'il fasse de lui-même l'annonce de l'ouverture de cette conférence nationale, faute de quoi, le Mouvement se propose de prendre lui-même toutes les dispositions appropriées pour ce faire et mener cette décision à bien. L'échéance est donc fixée au 10 mai 1991. Le Mouvement de revendications proclame également le 20 mai – date officielle de la fête nationale – , comme "jour de deuil national", en hommage à tous ceux qui dans ses rangs sont déjà tombés dans les affrontements fréquents avec les "forces de l'ordre" et dont le nombre varie alors de 15 à 48 selon les sources.

Et l'on parvient ainsi à la fin du mois de mai sans que les positions aient véritablement évolué de part et d’autre, sauf que la Nouvelle Opposition ou le Mouvement de revendication, est désormais représenté par un comité de coordination, composé de partis politiques et des associations dites de défense des droits de l’homme, qui accepte de rencontrer le nouveau Premier ministre. Ce dernier lui remet à cette occasion les projets de loi sur le code électoral et sur l'accès des différents partis politiques aux médias publics nationaux dans le cadre de la compétition électorale à venir.

Ces projets du gouvernement sont rejetés quelques jours plus tard par le Mouvement de revendications, au motif que le Premier ministre n’y a précisément rien dit au sujet de la tenue d'une conférence nationale où ces textes sont selon lui supposés devoir être débattus. Un nouvel ultimatum est donc fixé au 15 juin, accompagné d'une palette de moyens pour enfin obtenir la soumission du pouvoir aux exigences du comité de coordination.

Le plus important des moyens de pression qu’utilise la Nouvelle Opposition est constitué par ce que l'on a appelé l'opération "Villes Mortes". Celle-ci concerne en priorité les milieux urbains et consiste à y faire cesser toutes les activités, sous toutes les formes, aux jours indiqués de sorte que puisse effectivement se dégager dans les localités concernées, l'impression d'inertie, d’absence de vie : toute vie étant repliée derrière les façades fermées.

Dans une première application, cette "opération" au caractère a priori pacifiste et modéré avait semblé susciter de l'adhésion chez certaines populations quand le comité de coordination de la Nouvelle Opposition fixa pour l'ensemble du pays les dates du 18, du 19 et du 20 avril, cette dernière date étant consacrée aux marches et manifestations pacifiques. Mais, la dynamique des forces mises en mouvement n’étant pas entièrement contrôlable, très vite des débordements avec des pertes en vies humaines se produisirent, à Ngaoundéré notamment, dans le Nord du pays.

En réponse donc à la tentative de réédition de cette opération "Villes mortes" par la Nouvelle Opposition, suite au non-respect de son ultimatum par le pouvoir en place, le gouvernement institue de son côté des commandements militaires dans les principaux foyers de tension du pays, en commençant par Douala ; 756 Jean Fochivé, "réputé premier policier du pays", symbole vivant de la répression sous le régime monopartisan où il fut le patron de la police secrète politique (cf. Supra), dont le seul souvenir fait frémir et donne froid dans le dos, est rappelé cette fois à la tête de la police nationale alors qu’il se trouvait déjà en retraite. Le chef de l'État prononce également une nouvelle allocution où il repousse de nouveau l’idée de la tenue des assises d'une conférence nationale. Dans le même sens de la fermeté, le Ministre de l'Administration Territoriale, “ Tête de turc ” du Mouvement, prononce lui aussi la dissolution du comité de coordination de la Nouvelle Opposition et de six autres organisations dites des "droits de l'homme". 757

La mise en place de ces différentes mesures du gouvernement n'arrête pas la Nouvelle Opposition dans sa poursuite de l'escalade : à son tour en effet, elle adopte une deuxième version, plus radicale encore, de l'opération "Villes mortes" et la dénomme "Plan d'action de Yaoundé II", 758 . Les mesures préconisées dans ce nouveau projet sont simplement de nature à affamer les populations urbaines : deux jours seulement dans la semaine sont en effet prévus pour toute sorte d'approvisionnement.

Mais pour tenir elle-même, dans ce bras de fer engagé contre le pouvoir en place, la Nouvelle Opposition va avoir besoin de financement. À en croire la presse locale, trois tentatives de solutions à ce problème semblent avoir été expérimentées sur les populations avec des succès variables.

Dans un premier temps, la Nouvelle Opposition aurait eu recours à une taxe imposée aux conducteurs de taxi. Mais ce mode de financement occulte se serait avéré insuffisant ou très peu productif, compte tenu des circonstances particulières de ralentissement économique généralisé et même de l'arrêt de certaines activités en milieu urbain. Dès lors, une partie au moins de la Nouvelle Opposition aurait imaginé le recours aux services de "pillards et d'incendiaires". Ceux-ci étaient, dit-on également, choisis le plus souvent parmi des évadés de prison, particulièrement nombreux en cette période trouble et organisés en "commandos". Ces "commandos" se voyaient donc confier deux types de missions : le contrôle auprès des citoyens de l'application des mesures décidées par la Nouvelle Opposition et la "collecte" des fonds auprès des populations : 759 il s'agissait tout d'abord d'identifier toutes les personnes soupçonnées d’enfreindre les consignes de l'opération “ Villes mortes ” ; ensuite d'infliger des sanctions à ces “ contrevenants ” ; ces sanctions pouvaient prendre la forme soit, du dépouillement matériel, de bris de glaces de véhicules, soit d'incendies de leur maison, d’immeubles ou de magasins pour les commerçants, et parfois le passage à tabac pouvant aller jusqu’à la suppression physique.

Concernant la collecte des fonds, elle s'effectuait aux différents points de barrage dressés un peu partout sur les routes où l'on “ vendait ” des cartons tantôt de couleur rouge, tantôt de couleur jaune. 760 Connu et fixé à l'origine, le prix de ces cartons, qui servaient de laissez-passer aux prochains barrages/barricades va vite déraper et en venir à représenter la totalité des sommes que le passant dispose par-devers lui, étant entendu qu’il est au préalable minutieusement et énergiquement fouillé avant d’être donc dépouillé.

Pour revenir à l'instauration par le pouvoir des commandements militaires opérationnels et autres mesures de gouvernement, ils n'aboutissent pas finalement à l’objectif visé : le rétablissement du calme dans le pays. D'ailleurs, le discours que prononce le chef de l'État le 27 juin devant la représentation nationale, est suivi d'une nouvelle flambée de violence à Douala, parce que

contrairement aux exigences de la Nouvelle Opposition, le chef de l'État y rejette fermement à nouveau, l'idée de la tenue des assises d'une conférence nationale au Cameroun, propose et réaffirme le principe des élections, en ces termes : "‘Je l'ai dit et je le maintiens : la conférence nationale est sans objet pour le Cameroun... Nous nous soumettrons au verdict des urnes. Seules les urnes parleront’ ." 761

Mais pour l'instant, c'est la violence qui répond à ce discours du chef de l’État. Elle paraît clairement signifier le refus du passage par les urnes afin de résoudre la crise politique. Elle gagne aussitôt également l'extrême Nord du pays où l'on dénombre une fois encore des pertes en vies humaines.

N’obtenant pas de résultat satisfaisant, le Mouvement de revendications croît dès lors devoir jouer sur le registre affectif en parallèle à l’opération “ pays mort ” décrétée pour durcir sa position face au pouvoir en place. En effet, le Mouvement essaye en vain, d'accréditer auprès des populations camerounaises l'idée selon laquelle, il y aurait au Cameroun une tribu, celle dont les ressortissants sont au pouvoir, les Bëti, et que la main mise de cette tribu sur le patrimoine national constitue l'origine du mal dont souffrent la communauté nationale tout entière, de ce fait invitée à se soulever pour reprendre le pouvoir confisqué.

Mais, contrairement à ce résultat escompté, comme prise entre deux feux, les populations camerounaises manifestent plutôt leur volonté de s’en dégager à travers leur lassitude exprimée sous diverses formes.

Par exemple : alors que la campagne de terreur et d'intimidation menée par la Nouvelle Opposition est supposée être en vigueur, longtemps reclus, à l'instar d'autres professionnels, des conducteurs de taxi réapparaissent peu à peu et osent à nouveau travailler; 762 alors que leurs devantures sont closes, nombreux sont les boutiques et magasins qui bravent les menaces, répondent aux sollicitudes des populations et reprennent la pratique de leur commerce, bien que cela se fasse par issues dérobées.

Il en ressort le constat que la majorité de la population ne semble ni amie ni ennemie, du mouvement de revendications, qu’elle rejette verbalement le régime moniste disparu mais voudrait aussi vaquer à sa propre survie dans ce contexte troublé. Elle assiste au remue-ménage avec sympathie, mais sans trop y prêter foi et dans la crainte du pire.

L'on semble ainsi parvenu à une impasse, 763 quand le pouvoir en place reprend l'initiative sous la forme d'une offre de dialogue. Cette proposition du Président de la République aura pour effet cette fois de diviser le Mouvement, 764 dont une majorité continue de préconiser le durcissement radical. Parmi les nouvelles mesures envisagées par les tenants de la ligne dure, 765 il y a le boycottage de la rentrée scolaire qui, 766 soulevant de toutes parts des protestations, donne le signal d’une définitive perte de crédibilité du Mouvement aux yeux des populations camerounaises.

À compter donc du 28 août 1991, le chef de l'État entreprend la tournée des dix provinces du pays, 767 qui s'achève dans la capitale où il annonce en date du 11 octobre la tenue des élections législatives en mi-février 1992. Il propose à la Nouvelle Opposition l'ouverture de pourparlers avec le Premier ministre, en vue de définir les règles de jeu applicables à cette prochaine compétition électorale, et cela à travers deux commissions mixtes, créées et chargées de l'élaboration d'un projet de code électoral et d'un code d'accès aux médias publics nationaux.

C'est finalement discréditée, divisée et coupée de la base dont elle prétendait défendre les intérêts que la Nouvelle Opposition consent à se présenter le 30 octobre 1991 à l'ouverture des travaux de la première commission dite rencontre "tripartite" (gouvernement – opposition – personnalités indépendantes). Pour le gouvernement, l'ensemble des sujets à débattre dans le cadre de cette rencontre, devait donner lieu à des propositions qui devaient ensuite être transmises aux organes compétents pour examen et décision finale : dans cette optique, la “ tripartite ” n’est qu’une rencontre à caractère consultatif. Quant à la Nouvelle Opposition, elle entend simplement quant à elle donner à cette réunion les attributions toujours prévues pour la conférence nationale et souveraine. C’est d’ailleurs ce qui ressort du mémorandum qu'elle remet alors au Premier Ministre au moment de l'ouverture des travaux de cette “ tripartite ”.

Au nombre des préalables posés dans ce mémorandum, il y a : la détermination de l'ordre du jour de la réunion ; la conduite et la présidence de ses travaux ; le mode d'adoption des décisions, leur nature et leur sort.

S'agissant en particulier de la conduite des travaux, la Nouvelle Opposition suggèrera que cette fonction soit attribuée à une personnalité dont la neutralité supposée soit de nature à garantir le bon déroulement des assises. Or, le cardinal Christian Tumi que le Mouvement de revendications pressenti pour cette fonction sera vivement dénoncé et critiqué par les partisans du régime en place : on lui reprochait justement sa formidable partialité dissimulée sous des atours de respectabilité religieuse. 768

En rejetant donc d'une part les préalables figurant dans le mémorandum de la Nouvelle Opposition, le Premier ministre finira par maintenir d'autre part que l'ordre du jour demeure celui déjà fixé par le chef de l'État : le mode électoral et le mode d'accès des différents partis politiques aux médias publics nationaux. Tout au plus, le Premier ministre consent-il à inscrire à cet ordre du jour un nouveau point dit "questions diverses" où seraient discutés d’autres problèmes que soulèverait la Nouvelle Opposition.

Déçu de ne pouvoir imposer ses vues, le 5 novembre 1991, le directoire de la Nouvelle Opposition annonce qu'il suspend jusqu'à nouvel avis sa participation à la réunion. Néanmoins, la rencontre se poursuit avec une partie des formations politiques constituant ce que l'on va à partir de cette date qualifier d'"Opposition modérée".

Les conclusions qui découlent finalement des travaux de cette "tripartite" s'achevant le 17 novembre, portent la marque de concessions mutuelles. 769 On les retrouve désormais dans le code électoral. Par exemple, l’ “ Opposition modérée ” voulait ramener à 18 ans l'âge du vote, tandis que le gouvernement défendait celui de 21 ans. Cet âge est finalement fixé à 20 ans ; s'agissant du contrôle des élections, l'accord entre les deux parties prévoit qu'il soit assuré par des commissions au niveau national et préfectoral, comprenant des représentants des différents partis politiques candidats aux élections.

La deuxième session ordinaire de l'Assemblée nationale siégeant au mois de décembre entérinera donc la plupart de ces résolutions de la "tripartite". Et ainsi s'achève le déroulement des faits relatifs aux revendications de la tenue d'une conférence nationale au Cameroun, sur lesquels il convient à présent de revenir par la réflexion pour en dégager le caractère notable.

Notes
751.

Ce que l'on a appelé le "Vent de l'Est", à propos de la vague démocratique qui est parti de l'Europe de l'Est, suite aux bouleversements consécutifs à la mise en place de la "Perestroïka" inaugurée par Gorbatchev dès sa prise de fonction en 1985, va se traduire au Cameroun par des mouvements de contestation à caractère politique ayant pour objet la démocratisation et l'instauration du multipartisme dans le pays. Nous rappelons ci-dessous quelques dates et évènements marquants de cette situation au Cameroun :

– 28 mars 1990, grève des audiences des avocats réclamant l'ouverture d'un procès pour leurs collègues arrêtés pour émission de tracts politiques en faveur du multipartisme.

– 30 mars 1990, marches de soutien au Président Paul Biya, organisées par le RDPC se prononçant pour la stabilité politique supposant le rejet de l'anarchie représentée par le multipartisme.

– 17 mai 1990, une lettre pastorale dénonce les “ violations flagrantes des droits de l’homme ” au Cameroun (cf. Le Messager, n° 189, 26 juin 1990, p. 10).

– 26 mai 1990, marche de démonstration à Bamenda, initiée par John Fru Ndi pour inaugurer le début des activités de son parti nouvellement créé, le Social Democratic Front (SDF), sans qu’il ait attendu la position de l'Administration sur la création d’un nouveau parti politique sur le sol national: à cette occasion, première confrontation des manifestants avec "les forces de l'ordre" : 2 à 6 morts selon les sources.

– Mobilisation des étudiants à Yaoundé, intervention des "forces de l'ordre" sur le campus...

– 9 juin, démission de John Ngu Foncha, un des “ pères ” de la réunification, Vice-Président du RDPC, ancien Vice-Président de la République Fédérale du Cameroun de 1962 à 1970, – Échos du Sommet franco-africain de la Baule en France : les dirigeants de l'ancienne puissance tutélaire s'engagent à moduler l'aide de la France en fonction des progrès vers la démocratisation.

752.

Nous avons précédemment indiqué que le règne d'A. Ahidjo s'achève au Cameroun en 1982, lorsqu'il démissionne le 4 novembre, et que Paul Biya lui succède à la tête de l'État le 6 novembre. Mais c'est en 1985 seulement qu'à Bamenda naît le RDPC, d'une transformation de l'U.N.C. (Union Nationale Camerounaise), parti unique de l'ère A. Ahidjo. Le RDPC restera la seule formation à caractère politique dans le pays jusqu'en 1990. Mais à la différence de l'U.N.C., le R.D.p. C. va instituer en son sein des élections disputées entre plusieurs candidats. C'est cela la principale caractéristique de cette période qui va donc de 1982 à 1990, que nous avons désigné en tant que phase de transition vers le pluralisme, qui comporte donc moins de violence, sinon aucune en rapport avec le fait électoral. Cette absence de violence nous semble liée à l'innovation apportée par le R.D.p. C. : l'aménagement d'un espace minimal de liberté d'opinion au sein du parti unique.

753.

Cf. Loi du 19 décembre 1990 sur les Libertés.

754.

Dans les pages qui suivent, nous utilisons indifféremment "Opposition" et "Mouvement", pour désigner ces différents acteurs politiques, en lutte contre le pouvoir en place.

755.

La Constitution du Cameroun, qui consacre le monopole de la représentation nationale et l'action des pouvoirs élus, ne permet pas la mise entre parenthèses des institutions publiques, ce qui rend illégale cette conférence nationale. Telle nous semble avoir été la lecture de la Constitution faite par le chef de l'État.

756.

Capitale économique du pays, Douala se présente également comme le principal pôle de l'opposition au pouvoir au pouvoir en place.

757.

Les dénominations d'organisations ne sont pas ce qu'ils font croire, parce qu'ils cachent souvent d'autres activités que celles réellement déclarées. En l'occurrence, ces organisations des "droits de l'homme" non seulement se comportent en parti politique, mais s'adressent surtout dans le but de la flouer, à la sensibilité des Occidentaux, tirant parti de ce que ces derniers ont érigé la théorie des droits de l’homme en idéologie, qu’ils s’en servent volontiers pour administrer des leçons de bonne conduite au reste du monde, et sont prompts à condamner dès lors qu'il s'agit de cette question des "droits de l'homme" à laquelle chacun donne le contenu qui lui convient. Dans sa tentative d'ébranler le pouvoir en place et s'emparer du pouvoir, l'opposition va en effet jouer la carte de l'étranger entre autres moyens, estimant que dans ce pays traversant une crise financière, ce sont les gouvernements étrangers ainsi que les organisations internationales qui assurent le règlement des salaires des fonctionnaires, dont la défaillance éventuelle sonnerait une fois pour toute le glas du régime. C'est ce qu'ira donc plaider à Paris, Londres et Washington, une délégation conduite par Samuel Eboua à partir du 20 août de cette année-là. .

758.

Publié par le journal Challenge hebdo n° 39 des 10-17 juillet 1991, ce "Plan d'action de Yaoundé II" est le suivant :

“ Plan d'action de Yaoundé II ” (Jusqu'à la Conférence nationale et souveraine).

1 – La Conférence nationale souveraine reste et demeure une nécessité objective qui doit permettre de jeter les bases d'un nouveau départ dans la vie saine et efficiente de nos institutions.

2 – Maintien des Villes mortes sur toute l'étendue du territoire les jours suivants : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi. Ravitaillement : Samedi, dimanche.

3 – Désobéissance civile : - Refus de payer les redevances CNPS, CRTV, les patentes, vignettes et autres taxes - Asphyxie bancaire - Refus de se soumettre aux dispositions de la nouvelle loi des finances.

4 – Renforcement du blocus de Yaoundé, du port de Douala et des aéroports, Opération "aéroport mort".

5 – Les mesures d'accompagnement du plan d'action de Yaoundé I sont maintenues ; à savoir : ouverture des pharmacies, cliniques et hôpitaux, circulation des ambulances.

6 – Les leaders de l'opposition et associations exigent le retour immédiat des forces armées dans les casernes et restent toujours disposés à rencontrer le chef de l'État pour discuter de la Conférence nationale souveraine.

Fait à Yaoundé et Douala, le 5 juillet 1991 ”.

759.

Certains leaders de l'opposition, pris à leur propre jeu, se seraient trouvés assiégés par des hommes de main qu’ils avaient eux-mêmes recrutés qui leur exigeaient le règlement des sommes convenues pour la rémunération de l'exécution de ces missions. Dika Akwa de l'U.P.C., sur le point d'être lynché, n'aurait dû son salut qu'à l'intervention des forces de l'ordre.

760.

La symbolique du football, accessible même au plus inculte des citoyens, est considérable dans ce pays réputé et reconnu pour son amour et sa pratique de ce sport. Ainsi, sa transposition, sur le terrain politique signifie la recherche d'efficacité : tout en collectant les fonds, l'opposition pense pouvoir mobiliser le plus de monde autour de ses revendications et par la même occasion mesurer l'adhésion populaire au mouvement qu'elle conduit, alors que cela devrait normalement se faire par le passage aux urnes. Ensuite, dans ce "match" qui oppose donc d'une part le gouvernement, et d'autre part, l'opposition, le passant est obligé de jouer à l'"arbitre". Seulement, tous les cartons seront sensés être adressés au gouvernement, le rouge signifiant le blâme, et le jaune l'avertissement. Sur ces cartons, il est marqué : Biya must go (Biya doit s'en aller). Soit le passant achète volontairement son carton sans être forcé à le faire, et l'on considère alors qu'il ne veut pas voir sa liberté de circulation restreinte ; soit le passant est forcé d'acquérir ce carton au passage d'un barrage, dès lors, ce carton ne s'adresse plus à ce moment précis au gouvernement, mais au passant lui-même qui se voit ainsi blâmé ou vitupéré pour son attitude non-coopérative et défavorable à l'opposition. Pour les “ collecteurs de fonds ”, dont le coup de poing et la bagarre sont le mode nécessaire d'expression pour s'imposer, chaque nouvel achat signifie un membre de plus dans les troupes virtuelles de l'opposition. Les acheteurs de cartons sont applaudis et congratulés. Ceux qui sont un peu forcés ou lents à se décider sont stigmatisés, insultés et parfois maltraités. De nombreux européens et tous ceux qui présentent des signes extérieurs de richesse se verront simplement et totalement dépouillés.

761.

Cf. Cameroun Tribune, n° 4916, 28 juin 1991.

762.

Ils le font en ayant pris la précaution de banaliser leur voiture. Ils ont l'avantage dont ils profitent de ne payer ni taxes, ni impôts à l'État dont le mouvement de revendications conteste alors l'autorité.

763.

D'où la proposition de Adamou Ndam Njoya, Président de l'U.D.C., membre influent de l'opposition selon laquelle "si le chef de l'État pensait qu'il ne pouvait pas convoquer cette conférence nationale, ou que l'Assemblée nationale ne pouvait pas le faire nous demandons à ce qu'un référendum soit organisé afin que le peuple tranche. Donc, il y a une approche positive qui marque une nouvelle démarche en ce qui concerne notre attitude". Cf. Challenge hebdo n° 39, 10-17 juillet 1991, p. 3.

764.

Dika Akwa de l'U.P.C. sera stigmatisé pour avoir rencontré le chef de l'État, puis exclu, à l'instar de nombre d'autres chefs de partis politiques, du "Comité du suivi de l'opposition".

765.

Samuel Eboua approchant alors les 70 ans, Président du Comité de suivi de l'opposition ancien membre des gouvernements dans le régime d'A. Ahidjo, incarne cette ligne. Après son passage à tabac par les forces de l'ordre pour manifestation interdite, il atténuera de suite son ardeur à défendre cette ligne politique, ainsi que son discours habituellement alarmiste, catastrophiste et fait de mises en garde emphatiques et inlassables contre une menace ravageuse.

766.

Certains établissements scolaires seront incendiés, en coïncidence de façon troublante avec des meetings de l'opposition.

767.

Au cours de cette tournée dans ses discours, le chef de l'État mettra l'accent sur la nécessaire concorde et unité nationales. Mais la tournée consiste apparemment à relever également le défi lancé par l'opposition selon lequel, il lui serait interdit de se présenter dans les villes comme Bamenda, Bafoussam ou Douala, dans lesquelles l'hostilité à l'égard du pouvoir est alors la plus résolue.

768.

Les partisans du régime en place considèrent en effet l'accession de Christian Tumi à la présidence des travaux comme subterfuge relevant du plan de prise du pouvoir que l'opposition cherche à réaliser à travers la tenue revendiquée des assises de la conférence nationale

769.

Il est à noter au plan des concessions qu'en échange du retour à la situation normale, c'est-à-dire en échange de l'acceptation des acteurs politiques de se soumettre aux procédures électorales, i.e. l'acceptation de la voie institutionnelle au détriment de la voie insurrectionnelle, le gouvernement consent de son côté un moratoire fiscal pour tous les contribuables affectés par la campagne de désobéissance civile entre les mois de mai et de novembre, la levée des commandements militaires régionaux, la levée de l'interdiction de certaines associations politiques qui opéraient sous couvert "les droits de l'homme", la libération de toutes les personnes arrêtées au cours des manifestations, la réhabilitation de personnalités politiques disparues et le rapatriement des dépouilles de celles décédées à l'étranger...