B. – LE LANGAGE COMME FIGURE NOUVELLE DE LA VIOLENCE OU LA REMISE EN CAUSE DU PRINCIPE DE LA DETTE COMMUNAUTAIRE.

Au Cameroun, le langage que le régime monopartisan avait réussi à contenir dans de strictes limites jusqu'aux années 1990, constitue désormais, depuis le 17 novembre 1991, le premier élément structurant de la violence . 791

Mais, dans cette étude qui concerne la pratique électorale au Cameroun, il ne s'agit pas de dresser de façon exhaustive le tableau des différents langages de cette violence, qui se transforme sans jamais disparaître, mais bien d'en indiquer deux types observés et retenus pour leur caractère courant et exemplaire : les langages de la description ou de la représentation et les langages de stratégie ou d'opération.

Envisagés en période électorale principalement, durant laquelle les propos se font de plus en plus incisifs, ces deux types de langage révèlent les traits propres du discours politique au Cameroun: son incohérence externe (ce que disent les politiques en général et les représentants du pouvoir en place en particulier n’est pas nécessairement ce que disent les autres acteurs de la médiation: en vrac, les médias, les intellectuels, les hommes d’églises…) ; sa simplification des problèmes complexes sans doute pour les rendre intelligibles du grand public à travers l’imposition des visions du monde ou des représentations qui peuvent s’objectiver dans les comportements, à travers la production des effets de réalité. Ces discours sont constitutifs de la nouvelle réalité politique au Cameroun ; 792 ils participent à la construction sociale et politique de cette réalité et définissent surtout le contexte des élections dans lequel ils interviennent, en particulier depuis le rétablissement du pluralisme politique.

L’analyse de ces discours nous permet de souligner ce que la violence sous sa forme active, malgré son recul, demeure toujours latente et peut toujours se diffuser aussi vite qu'elle pourrait refaire irruption dans le pays. Cette situation semble également traduire la précarité et la fragilité de l’institution du vote dont il s’avère qu’elle n’a pas définitivement imposé sa légitimité au point d’exclure totalement les pratiques de violence politique. Le geste électoral paraît donc ne pas avoir fini d'être conçu comme seule forme sociale et politique légitime, c'est-à-dire comme seule acceptable et acceptée, car nombreux sont ceux qui lui semblent toujours réfractaires au point de paraître préférer d'autres possibilités de mobilisation politique moins démocratiques.

Notes
791.

En dehors du langage, il y a le rire, comme autre élément structurant de la violence, ainsi que la fête où s'exprime "l'opposition" et se structure le refus du vote. Ces autres éléments sont envisagés aux sections qui concernent la campagne électorale.

792.

Murray Edelman, qui s’attache à mettre en évidence les “ problèmes ” politiques, les antagonismes politiques, les enjeux politiques, qui selon lui n’existent effectivement qu’au terme d’un travail sur le langage, affirme que “ le langage politique est la réalité politique ” in Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1991 (trad.).