Concrètement parlant, dans l'environnement historique, social et politique, que présente le Cameroun depuis le rétablissement du pluralisme politique, bien que la violence se soit transformée par un recul certain à partir de la fin de la rencontre " tripartite " l'on n’est pas allé, jusqu’à son fonctionnement "positif " décrit ci-dessus; et pour utiliser une image, la trame reste toujours si tendue qu’elle risque à tout moment de briser les fils qui la constituent. 832
Certes, pour une opposition, l’exploitation des divisions sociales pour construire un groupe référence (les amis de la liberté, les patriotes, les vrais démocrates, les corrupteurs, les corrompus…) , est parfois une condition vitale pour son existence, mais la violence toujours exprimée par un parti politique comme le SDF au sein de l’opposition et ses représentants au Cameroun apparaît parfois comme si cette formation politique récusait les principes même de la cohabitation sociale dans le pays, de sorte que cette violence se découvre par moment non pas comme une violence dans la société, mais plutôt comme une violence contre la société. De fait, cette violence témoigne toujours irrespect et désintérêt fondamental pour la compétition électorale pluraliste et pour les possibilités qu'offre le système électoral. À l’analyse il en ressort, par cette violence, comme d’un refus de rentrer véritablement dans le jeu social ; à travers cette violence donc, sans oublier le boycottage à répétition des élections, comme nous le verrons, il s’avère que le SDF menant avec lui l'ensemble de la Nouvelle Opposition politique, se joue du social : en acceptant difficilement, et même pas souvent, une de ces servitudes qui rendent possibles la coexistence, à savoir la soumission franche et définitive de tous au système électif, en étant bien entendu que la démocratie suppose un apprentissage, et cet apprentissage c'est aussi celui de la tyrannie de la majorité ; en privilégiant excessivement dans la pratique l’aspect du polemos, lié à l’antagonisme et à l’hostilité qui remet en question les bases mêmes d’un ordre démocratique, et en laissant donc de côté l’élément de la polis, du vivre ensemble, qui vise à établir un ordre, à organiser la coexistence humaine dans des conditions qui sont certes toujours conflictuelles, parce que traversées par le politique.
Dans le cadre de notre propos sur le vote et la conflictualité, partant des premières années de l'indépendance du Cameroun, nous avons pu dégager trois figures notables traduisant cette forme sociale, parmi nombre de moments douloureux que nous pouvions retenir.
Il y a d'abord, la violence s'accompagnant d'une terreur intense dans le cadre d'un régime présidentiel de parti unique. Cette violence apparaît comme abstraitement et légalement détenue par un seul individu, à travers sa formation politique; devenant directement menaçante, elle détermine l'obéissance – d'où l'obtention des votes à 99% de suffrages – et partant, conforte le pouvoir en place. Il va de soi que, d'une part cette violence qui s'identifie au pouvoir lui-même donne lieu à des abus sous de multiples formes comme celle de la répression policière non contrôlée par la loi ou celle des camps de concentration dits camps d'internement administratifs, et d'autre part que le principal instrument de cette violence qui peut être psychologique ou physique est soit l'Armée (l'intervention à Élig-Mfomo en est un exemple) soit la police politique. Cette violence en régime présidentiel de parti unique se traduit donc finalement par l'élimination physique de la plupart des opposants tenaces.
Il y a ensuite, avec le retour au pluralisme politique dans le cadre de la libéralisation à partir de 1990, et avant qu’elle ne se retranche uniquement derrière le langage, la violence dans un usage prémédité et organisé se découvrant comme si elle constituait pour la Nouvelle Opposition politique, le moyen légitime et ordinaire d’accéder au pouvoir en contournant le principe théorique de l'élection des dirigeants. Cette violence va s’avérer également une manière de manipuler les citoyens à des fins politiques, en les maintenant dans un état de peur et par conséquent de sujétion, de la même façon donc qu’en régime monopartisan, et non propice à l'exercice libre et authentique du droit de vote. Elle exclut même au fond le vote libre comme alternative et se découvre comme la stratégie de ceux qui ne savent finalement rien faire d'autre, qui ne trouvent pas d'autre idée, incapable de sentir ni de participer aux sentiments des autres. L'on peut dès lors considérer cette violence, dans le cadre électoral qui nous concerne, comme le produit d'une paresse d'esprit, d'une pauvreté de sentiment et d'un manque d'imagination.
Mais, peut-être parce que son usage séduit toujours certains acteurs et paralyse d’autres par ses premiers succès, et qu’elle a pour caractéristique principale d’attirer brutalement l'attention tout en conditionnant l'opinion publique – tant nationale qu’internationale – à la répétition, bien qu’elle ait reculé depuis le 17 novembre 1991, rien n’est totalement acquit : la violence, puisqu’il s’agit d’elle, quelle que soit sa forme actuelle, est toujours à considérer au Cameroun comme étant aux aguets. Autrement dit, les processus de retour à la paix sont loin de pouvoir être tenus pour parfaitement irréversibles. Il reste maintenant à déterminer la provenance de cette violence dans le champ politique au Cameroun.
Par exemple, Mboua Massock et Djeukam Tchameni reconnus comme les parrains des opérations "Villes mortes" dont on se souvient encore de la violence qu'elles exprimèrent, se sont finalement résolus à la soumission au principe de l'élection. Mais, lors des législatives en 1997, on découvre que leur discours reste aussi virulent qu'aux jours sombres des revendications de la conférence nationale. Et dans ce discours, l’accent est porté sur l’antagonisme (rapport à l’ennemi), plutôt que sur l’agonisme (rapport à l’adversaire), ce qui n’est pas de bon augure pour un fonctionnement démocratique.