1. – Le tribalisme comme instrument de conquête du pouvoir au plan local.

Auparavant syndicaliste et cofondateur de l'UPC, Charles Assalé échoua à toutes les élections politiques auxquelles il se présenta avant 1952. En 1948, il avait rejoint dans sa région natale une association traditionnelle organisée sur une base ethnique. Avec la bénédiction des colonisateurs il en prit le contrôle au bout de quelques années suite à sa rupture en 1950 avec le courant nationaliste. Il s’agit de l’Union tribale Ntem-Kribi (UNTK) dite Efoula-Meyong. 863 Cet appareil politique d’un type particulier connaîtra un tel succès qu’il finira par chasser du "territoire boulou" tous les autres partis politiques, et fera finalement élire son nouveau leader Charles Assalé à l'Assemblée territoriale en 1952.

Dès ce moment-là, ainsi que le souligne Victor T. Le Vine, "‘la leçon servit à la plupart des politiciens. Presque tous, avec des succès variables, essayèrent de créer leurs propres associations dites traditionnelles en les fondant sur de véritables formations traditionnelles existantes(...) d'autres organisations traditionnelles furent fondées parmi les Bamoun les Eton, les Ewondo et Bëti, les Fulani de Ngaoundéré, les Mousgoum et les Batanga.’ ‘ 864 ’ ‘ Certains de ces derniers groupes devinrent des associations de "bien-être" ethnique, s'efforçant de défendre un intérêt ethnique particulier ; d'autres ne se contentèrent pas de remplir cette fonction sociale, mais présentèrent également des candidats aux élections à l'Assemblée territoriale’". 865

Alors qu'auparavant les Bamiléké ne se situaient pas en tant que tels, mais plutôt en fonction de la chefferie dont ils sont originaires, l'on observe dès cette époque parmi eux, et surtout chez ceux des leurs qui s’étaient enrichis, l'usage de plus en plus fréquent des emblèmes bamiléké, et la mobilisation des "roturiers" bamiléké dans les élections. 866

Au Nord du Cameroun, c'est la noblesse peule, dont l'Administration coloniale se servit également comme alliée pour empêcher l'UPC de s'implanter dans cette région, qui dorénavant sélectionnait les conseillers devant se faire ensuite élire.

En bref, se conjuguaient donc désormais "la pression administrative visant à maintenir ces associations ethniques à l'écart de l'UPC et les efforts de politiciens ambitieux, comme Charles Assalé, pour créer une conscience ethnique qu'ils utiliseraient dans des buts politiques personnels". 867

Notes
863.

Pourtant, Efoula-Meyong veut dire en français l'"Union des peuples", ou signifie "le mélange pluriethnique", qui s'oppose radicalement à la désignation qu’elle s’octroie. Une description de l’Efoula-Meyong est donnée par Balandier (G.), Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, P.U.F., 1971 (nouvelle édition), p. 236 ; ainsi que par Alexandre (P.) et Binet (J.), Le groupe dit Pahouin (Fang, Boulou, Beti), Paris, P.U.F., 1958, ch.5.

864.

Bamoun : Union Bamoun, Assemblée traditionnelle du peuple bamoun ; Eton : Association traditionnelle des peuples Eton-Manguissa -Batsenga, Anagsama-Lessomlo ; Ewondo : Kolo; Fulani: Koupè ; Mousgoum : Union du Diamaré.

865.

Le Vine (V.T.), op. cit., p. 195.

866.

Cf. Joseph (Richard); op. cit., p. 164.

867.

Ibid., p. 191.