1. – L'exclusion des nationalistes de la représentation politique par corruption des opérations électorales : l’instrumentalisation du vote des indigènes.

Avant l'indépendance du Cameroun le 1er janvier 1960, c'est-à-dire au cours de la phase d'introduction du vote se confondant avec celle de la décolonisation du pays, au moins huit scrutins d'envergure "nationale" se tiennent au Cameroun. Mais, se situant dès sa création en 1948 en première ligne du combat contre le colonialisme, jamais l'UPC qui ne participe aux élections qu’à partir de 1951, n'aura d'élu. Ce fait, qui constitua un problème toujours troublant pour l’ONU, à laquelle la France devait rendre compte de sa tutelle sur le Cameroun et auprès de laquelle également l'UPC prétendait à chaque occasion être le parti politique le plus populaire au Cameroun, en inondant cette organisation de milliers de pétitions pour le prouver, à défaut des votes officiellement enregistrés, s'explique principalement, 882 par la corruption des opérations électorales organisées par les fonctionnaires coloniaux, ceci participant donc à terme au déferlement de la violence électorale sur le pays.

Comme nous l'explique Joseph Richard, "‘il était impossible à un candidat de l'UPC de remporter une élection dans la période coloniale d'après-guerre, pour la simple raison que les Français ne l'auraient pas toléré. Par exemple, il était évident en 1952 que Um Nyobé, un Basàa, allait être élu à l'Assemblée Nationale dans sa région natale où il jouissait d'une popularité inégalée. Mais l'Administration coloniale lança aussitôt une campagne de sabotage en se servant des fonctionnaires locaux et des chefs basàa ainsi que de la hiérarchie catholique. À tous les stades du processus électoral, la distribution des cartes d'électeur, la représentation au sein des commissions électorales etc., furent soigneusement mises en œuvre pour éliminer les adhérents et sympathisants de l'UPC. Quand, enfin, l'Abbé Meloné fut déclaré élu, même les adversaires de l'UPC et les fonctionnaires coloniaux ne purent nier qu'il y avait eu simulacre d'élection..."’ 883

De ceci résulte que le vote fait partie des outils dont le colonisateur fait grand usage dans le cadre de sa politique visant à écarter les nationalistes de la scène politique locale.

Brian Chapman a montré l'ancienneté de cette pratique politique française instrumentalisant les élections, et consistant donc à organiser la défaite des forces politiques "indésirables". 884 Cette politique d’éviction des forces politiques indésirables de la scène électorale est donc poursuivie au Cameroun dans le cadre de la colonisation de l'Afrique Noire. 885 Elle va aboutir à discréditer le fait électoral aux yeux des populations et participer à l’explosion de la violence à terme.

Notes
882.

En dehors du maintien du double collège, en droit jusqu'à la loi électorale du 18 novembre 1955, en fait jusqu'à l'élection du 2 janvier 1956, l'on peut tout aussi bien expliquer l'absence d'élu UPC par celle dans ce parti des premières personnalités qui sont apparues sur la scène politique, qui y ont occupé, verrouillé les places que l'UPC n'a pas réussi à rallier. Il y a également la discrétion du leader Um Nyobé. On peut penser qu’elle aurait manqué d’incidence dans la mobilisation des foules... Cf. Gaillard (Philippe) ; op. cit., p. 190.

883.

Cf. Le mouvement nationaliste au Cameroun, op. cit., p. 196.

884.

Cf. Perfects and provincial France (Londres 1955) cité par Joseph Richard, ibid.

885.

Cf. Ansprenger (F.), Politik im Schwarzen Afrika : Die modernen politishen Bewe gunger im Afrika französischen Pragung ; Morgenthau (R.S.) ; Political parties in French -Speaking West Africa, ces deux auteurs sont cités par Joseph Richard, ibid., pp. 196-197.