2. – Le poids de cette violence électorale originelle.

Tout d’abord, afin de nous résumer par rapport à l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de dire que sous l'espèce du colonialisme, le modernisme fit irruption au Cameroun et se traduisit entre autres nouveautés par l'introduction du vote dans le pays. (cf. 1 ère partie, chapitre 1) Mais, les abus du colonisateur vont engendrer la rébellion, et dont la violence électorale comme une de ses expressions débouchant sur la brutalité et la terreur. Le terrorisme entraînant l'antiterrorisme, c'est finalement l'escalade de cette violence et celle de la haine qui désormais, face à la réfutation de la légitimité du pouvoir, vont profondément marquer l'édification poursuivie après l'indépendance, des structures politiques du Cameroun à partir de 1957.

En effet, le 28 janvier 1957, la nouvelle Assemblée sortie des urnes le 23 décembre 1956 dans les conditions de violence ci-avant décrites, porte A. Ahidjo à sa présidence, puis se saisit du projet de statut du Cameroun élaboré par le gouvernement français. Le 22 février, le vote concernant l'ensemble de ce texte après divers amendements donne cinquante neuf voix pour, et huit voix contre. Le décret d’entrée en vigueur de ce texte est donc publié le 16 avril, son application étant prévue à partir du 9 mai : le Cameroun devient un État sous tutelle, et non plus un simple territoire autonome comme le disposait le projet initial ; il est doté d'une Assemblée Législative (l'ATCAM devenant l'ALCAM), et d'un gouvernement. Le Haut-Commissaire Pierre Messmer désigne le 16 mai 1957 André-Marie Mbida Premier chef du Gouvernement du Cameroun autonome, avec le titre de Premier ministre. Il est à la tête d’un cabinet de coalition Démocrates camerounais, Union camerounaise et Paysans indépendants.

Mais, le 3 février 1958 déjà, pour remplacer Pierre Messmer avec lequel le nouveau Premier ministre A.-M. Mbida ne s'accorde pas sur les moyens et la méthode destinés à arrêter le terrorisme persistant en Sanaga-Maritime depuis le sabotage des élections, un nouveau Haut-Commissaire, Jean Ramadier, arrive au Cameroun. Ce dernier a pour mission promptement exécutée par la suite, de provoquer le départ d' A-M. Mbida dont on souligne l'autorité arbitraire, l’inflexibilité, l’incapacité politique à faire cesser le terrorisme dans le pays, et surtout l’intransigeance à l’encontre de l’Union des populations du Cameroun assimilé à un racisme antibasàa révélant un comportement étroitement tribaliste.

Le 18 février 1958, un peu plus d’une année seulement après l’éclatement des premières violences électorales en décembre 1956 au Cameroun, la boucle de la violence est bouclée, car, antérieurement Président de l'Assemblée législative puis vice-premier ministre et ministre de l’intérieur dans le gouvernement démissionné d' A-M. Mbida, Ahmadou Ahidjo arrive donc au pouvoir, en ayant été désigné par le Haut-Commissaire Jean Ramadier. Dès lors commence au Cameroun la construction précédemment examinée d’un régime de tendance totalitaire au centre duquel se retrouve la violence dévalorisant davantage le fait électoral.

Cette construction est accompagnée, comme nous l’avons vu, de la répression de subversions réelles ou supposées, alors que persiste par ailleurs dans le pays la révolte de l'UPC coûtant la vie à de milliers de civils et de militaires. Face à la réfutation de la légitimité du pouvoir en place s'érigent une armée tournée vers l'ennemi de l'intérieur et un appareil policier dont la croissance, devenant sans objet, semble s'auto-entretenir, fabriquant des ennemis du régime.

La peur régnera donc au Cameroun. La peur de l’un engendrant celle de l'autre ; la crainte des factions et des conspirations multipliant les suspects. Toute personne s'intéressant tant soit peu à la politique sans faire partie du camp de ceux qui détiennent le pouvoir, deviendra un suspect potentiel, un "subversif" risquant de ce fait l’arrestation, la torture et la détention indéfinie sans jugement. Au résultat, comme nous l’avons aussi indiqué, beaucoup de leaders politiques se désintéressent de la politique électorale. Plus personne ne croit au vote. Éclipsant tout intérêt pour l'avenir de la nation tout entière, cette violence masque également la diversité des opinions dans le pays, conférant à l'observateur étranger une fausse impression d’unité. Devenus dangereux, l'initiative et le sens de la compétition vont s'émousser, la parole se faisant quant à elle circonspecte.

Mais lorsqu'en 1991 se décide la libéralisation politique au Cameroun, c’est-à-dire le rétablissement du pluralisme politique après une vingtaine d’années de vie nationale en régime présidentiel de parti unique, les choses reprennent schématiquement comme si elles repartaient de là même où elles avaient été laissées en 1956.