SECTION 2 : LE DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS DE SCRUTIN.

Afin de saisir à plusieurs niveaux la réalité du déroulement des opérations de scrutin, c’est-à-dire le processus d’expression, d’enregistrement et de dépouillement des suffrages, il faudrait à présent comme nous l'avons annoncé, prendre en compte les interactions conflictuelles sur les lieux du vote.

Mais d’emblée, notons que ces interactions conflictuelles ne sont ni systématiques ni apparemment délibérées. Elles ne paraissent en rien traduire le rejet du vote, la négation des valeurs sur lesquelles il repose et la transgression des normes qui le concernent. En effet, lorsqu’une transgression des règles est notée, elle apparaît le plus souvent comme partielle ou accidentelle. Cela semble signifier une simple méconnaissance de ces règles et de leur portée, car en général, la docilité est obtenue des électeurs qui, le plus souvent, adoptent spontanément le comportement que l'on attend d’eux.

Les interactions conflictuelles envisagées dans le cadre de ce travail de recherche ne traduisent pas non plus des situations de conflit ouvert, mais des manifestations de conflictualité pouvant opposer des acteurs aux enjeux divergents. Et si la situation d’interaction conflictuelle, est à envisager dans ce compte rendu du déroulement des opérations de scrutin comme une donnée élémentaire de l’échange social constitué par le vote, cela ne signifie pour autant pas que les situations d’interaction conflictuelle aient dans ce cadre une existence indépendante des individus : dans ce travail il n’y a de situation d’interaction conflictuelle que par rapport à des individus, et d’individus que par rapport à d’autres individus en situation d’interaction conflictuelle. Toute situation d’interaction conflictuelle est en effet une construction sociale, celle du vote en l’occurrence.

Pour ce qui est du changement, soulignons que les manifestations de conflictualité sur les lieux du vote, depuis le rétablissement des élections disputées, constituent en elle-même un des traits majeurs du changement depuis la fin du régime présidentiel de parti unique. Dans ce régime en effet, le pouvoir en place était parvenu, comme nous l’avons montré, à bannir et à exclure des lieux du vote toute expression d’antagonisme. L’acte électoral ne consistait donc qu’à se rendre aux urnes, non pas dans le but d’exprimer un choix (le comité directeur du parti unique se chargeait de le faire à la place des électeurs ), mais en réalité à faire simplement tamponner sa carte électorale pour éviter les tracasseries policières qu’impliquait l’absence de la preuve de cette formalité "administrative".

Certes, on peut constater qu’au fur des élections ces manifestations de conflictualité se font de plus en plus rares, compte tenu de la période historique caractérisée par leur prolifération, qui se situait dans la foulée du rétablissement du pluralisme dans un contexte politique marqué par l’acuité des confrontations et l’intensité de la concurrence figurant parfois un haut degré de compétition. Mais on n’est pas loin d'être parvenu au point de parler d’absence totale de difficultés relevant de cette situation.

Aussi de nombreux exemples d’interactions marquées soit par l’antagonisme, l’opposition ou le désaccord, repérées au cours des scrutins concernant les élections présidentielles (EP) et législatives (EL) de 1997 au Cameroun, l’analyse de ces rapports entre acteurs ainsi que l’examen de tout ce qui concourt à leur évitement sur les lieux de vote, permettrons d’envisager d’un point de vue dynamique l’accomplissement du geste électoral et ainsi prendre la mesure d’une constitution historique du savoir-faire électoral au Cameroun.