A. – LE CHEMIN PARCOURU VERS L’INSTITUTIONNALISATION D’UN RÉGIME DE LIBERTÉ DEPUIS L’INTRODUCTION DU VOTE : RÉCAPITULATION.

La littérature politologique implique toujours qu’en Afrique, le choix des électeurs est déterminé par l’affiliation sociale des individus, et influencé par les sentiments de solidarité, de loyauté, que par le désir d’obtenir des avantages personnels. Nombreux sont en effet les travaux qui démontrent le formalisme des institutions politiques en Afrique Noire depuis les indépendances, et qui affirment que dans le continent subsaharien, les solidarités sociales préexistent au choix politique, qu’elles constituent des expressions de la structure sociale et renvoient à une identité communautaire. 1082

Dans son opuscule intitulé La politique en Afrique, Daniel Bourmaud le note, qui rappelle que certains auteurs affirment de nos jours encore que "‘la démocratisation n’aurait guère modifié les choses sur ce plan. Les procédures électorales actuelles seraient vidées de leurs sens et détournées de leur finalité en raison de la continuité dans les pratiques clientélistes. Les électeurs succomberaient aux appâts les plus démagogiques et les plus lucratifs. Loin d’élever le niveau de conscience politique et de favoriser l’émergence d’une culture civique, les élections contribueraient à pérenniser les identifications et les allégeances antérieures. Les partis politiques, quant à eux, se réduiraient à des instruments de conquête du pouvoir, délaissant leur mission programmatique et de réflexion idéologique. Les hommes politiques, enfin, ne connaîtraient que le goût du pouvoir, ses fastes et ses ressources, et ne verraient dans la démocratisation qu’une modalité particulière d’accès aux fonctions dirigeantes. En bref, la démocratie n’aurait rien changé sous des tropiques englués dans l’épaisseur d’un autoritarisme indéracinable’". 1083

Ainsi les électeurs africains n’accompliraient leur geste électoral que pour affirmer leur solidarité avec leur communauté d’origine. Leur choix ne serait déterminé que par leur affiliation sociale et fondé moins sur le désir d’obtenir des avantages personnels que sur un acte de foi qui viendrait renforcer les liens de solidarité les unissant à leur groupe social d’appartenance. En allant donc voter, il s’agirait de témoigner de sa loyauté et de son appartenance à une collectivité, celle dont on est originaire, et cela constituerait pour l’ensemble de l’électorat une fin en soi, un motif du choix politique. La compétition électorale n’aurait pas pour fin la sélection des meilleures mesures politiques, mais le renforcement des identités collectives qui auraient ainsi accès à la scène politique. La solidarité sociale préexisterait donc au choix politique et renverrait à une identité communautaire.

Pourtant, le processus de la construction du vote, appréhendé au plus près des réalités incite à une analyse nuancée. Étant entendu que les frontières de l’appartenance ethnique sont mouvantes, et que de plus en plus nombreux sont les citadins qui parlent peu ou maîtrise mal leur langue d’origine et n’ont guère de connaissance du milieu villageois, dans la dynamique du changement et de recomposition que découvre l’observation, c’est de plus en plus désormais sur les agrégations horizontales, sur les interrelations fondées sur le calcul ou sur l’évaluation du rapport coût/intérêt que portent le geste électoral des citoyens. "‘À la régulation autoritaire par la cooptation est en train progressivement de succéder une régulation nouvelle, fondée sur la compétition ouverte, et laissant à chacun une chance acceptable, en termes de probabilité, d'accéder aux plus hautes fonctions ’". 1084

Aussi, pour la plupart élaborées dans un contexte politique façonné par l’autoritarisme, les analyses des systèmes politiques africains et les méthodes proposées dans ce cadre semblent mériter d’être dorénavant soumises à réévaluation avec le souci principal de rendre compte des recompositions en cours et appréhender les nouvelles sources de production de valeur politique.

Notes
1082.

À ce sujet, nous croyons pouvoir par exemple citer Prouzet (M.), Le Cameroun, op. cit.

1083.

Bourmaud (Daniel), La politique en Afrique, op. cit.

1084.

Ibid., p. 142.