2. – L’évolution de la pratique électorale significative du changement.

Depuis 1991, le Cameroun est entré dans un engrenage d’élections concurrentielles. Les résultats de ces élections ont confirmé le processsus d'individuation progressive qu'avait déjà mis au jour la crise économique et la liberté de ton des débats atteste de la réalité de cette évolution.

Les campagnes électorales sont désormais l’occasion d’introduire la dérision dans la vie politique ou de formuler des demandes normalement incongrues. Elles procurent l’occasion à de multiples candidats (citons par exemple Gustave Essaka parmi les plus connus sur ce registre), non pas véritablement de conduire une candidature, mais d’exercer une sorte de prêtrise, une démonstration par actes symboliques sur bon nombre de sujets.

La diversité même de ces consultations électorales ne garantit plus la constitution d’une majorité homogène. Aux élections législatives de mars 1992 par exemple, le pouvoir en place n’obtient qu’une majorité relative : 88 sièges sur les 180 mis en jeu. Il devra donc s’allier au Mouvement pour la défense de la république (MDR) ayant obtenus six députés, et à l’Union des Populations du Cameroun (UPC) recevant dix-huit sièges pour avoir une majorité de gouvernement. Rien ne paraît mieux indiquer la fin du monopartisme.

Ces élections, en plus de l’effet de suspense qu’elles produisent désormais, sont l’occasion de manifestations festives, de campagnes régies par des dramatisations programmées. Les débats ont l’allure agonistique des défis et de guerres de mots qui amplifient la compétition et font de l’incertitude un ressort dramatique. Si le pouvoir semble désormais soumis directement à l’assaut des critiques et aux réactions de l’opinion, aux "représentations " par lesquelles les gouvernants recherchent l’adhésion ou la soumission des gouvernés répliquent dorénavant celles qui introduisent et encouragent du "désordre " dans l’ordre établi, du mouvement dans les institutions de conservation, de la dissidence dans la conformité.

Si l’on peut donc, d’une part, dire que la solidarité constitue encore le produit de situations sociales et culturelles dont la politique prend acte, que le clientélisme, qui se déploie en fonction des relations de parenté et les rivalités qui s’aiguisent avec le recours à la sorcellerie, contraignent un nombre encore important de rapports sociaux dans l’ensemble de la société camerounaise, y compris chez les nantis, il faut, de l’autre part, reconnaître qu’aujourd’hui la structuration de ces rapports sociaux porte de plus en plus sur des agrégations de type horizontal opposées à la verticalité des lignes de parenté. Autrement dit, l’appartenance communautaire comme cadre de référence de l’action autorisant tous les népotismes dans les différentes sphères de la vie sociale et politique ne constitue plus le seul champ des sociabilités ordinaires.

Au total, le système démocratique – comme émanation et expression de la volonté du peuple – est au Cameroun à la recherche de ses effectivités. Certes, les conditions pour que l’alternance surgisse des urnes ne semblent pas réunies à court terme, selon le constat qu’établit Georges Courade. 1094 Mais avec ces différentes transformations qui s’opèrent dans l’espace public, qui s’effectuent dans la structure et la distribution des groupes sociaux, ainsi que dans la mobilité sociale, quoique ces transformations puissent paraître lents et imperceptibles, l’alternance est d’ores et déjà inscrite dans l’ordre des choses, d’autant plus que le Cameroun est dorénavant soumis à un régime d’alternance.

En se demandant s’il existe ailleurs, hormis le cas de l’Afrique du Sud, un précédent dans le monde où moins d’un demi-siècle après que le suffrage universel ait été instauré le pouvoir politique en soit venu à passer d’un camp politique à l’autre, il convient sans doute, de prendre la mesure de la relativité de ces différentes transformations qui montrent que le chemin est long qui reste à parcourir, entre la roture des comportements et la conformité de la pratique à l’idéal de la démocratie.

Notes
1094.

Cf. Politique Africaine, 62, "Le Cameroun dans l’entre-deux, juin 1996, p. 14.