La tentation ethnique à laquelle nombre d’acteurs politiques succombent également semble largement provenir du fait que les thèmes mobilisables dans le cadre d’un système compétitif sont étroitement délimités. 1103
La réponse politique au problème identitaire doit là également se structurer à travers les principes de liberté et d’égalité. Prenons tout d’abord la liberté. Elle est indissociable de la séparation du public et du privé. La liberté est le principe qui permet l’expression des identités particulières en dehors du domaine public. L’espace public, identifié à la Raison, protège les identités en les rejetant du politique. S’agissant de l’égalité, elle vise à une répartition juste de la richesse socialement produite, nous l’avons dit, indépendamment des conditions sociales des individus. Rien ne résume mieux l’articulation entre ces deux principes que le caractère universalisable des droits. La caractéristique de cette conception de la démocratie est son indifférence, en termes de principes, au problème identitaire : celui-ci doit toujours être politiquement construit via les droits universels. Dans les deux cas, les individus ont des "appartenances ", mais pas des "identités ".
Les réformes doivent donc tenir compte des réalités africaines et trouver des formules institutionnelles, sui generis éventuellement, qui soient adaptées afin de mettre à profit les institutions communautaires traditionnelles qui demeurent vivaces, au lieu de nier leur existence qui pu justifier un "pouvoir fort " appuyé sur un parti unique pour dominer les contradictions travaillant les sociétés africaines, dans un contexte où ni les droits de l’homme ni la démocratie n’ont pu s’épanouir.
Il s’agirait de ne pas nier les systèmes de légitimité traditionnelle dans la construction d’un État moderne en Afrique, et cela consisterait à multiplier les relais authentiques dégagés de la société elle-même, et non plaquées sur elle, entre l’État et les populations. C’est une redéfinition de l’État dont il s’agit, qui présenterait les avantages tels, la revalorisation symbolique mais aussi pratique de la société par rapport à l’État, la réduction de la valeur d’enjeu social de l’État, en terme d’emploi, de subventions, d’avantages légaux ou non. Tout ces enjeux seront soit réinjectés dans la société civile, soit fragmentés par la décentralisation. Et il pourrait en résulter un jeu économique et social plus souple et plus dynamique.
Le plus important sur le plan politique, c’est que le fait idéologique reprendrait plus de vitalité face à la prépondérance du fait ethnique qui explique la pléthore des formations politiques, et que le tribalisme qui repose largement sur une instrumentalisation de l’identité par certains acteurs politiques se verrait retirer une partie de ses objets qui l’alimentent de façon négative et perverse, puisque l’occupation des lieux centraux du pouvoir n’aurait plus de valeur absolue. Une véritable participation des populations à la prise de décisions, établie selon le principe fédéraliste de subsidiarité, serait par-là rendue plus aisée, dans un jeu politique plus vrai, où seraient dégagés les enjeux réels. Cette démocratie réelle permettrait d’aborder, par un jeu politique interne, des revendications claires, compatibles avec l’ordre national et son engagement dans l’ordre international.
Ceci implique que l’État ne se présente plus comme une centralité totalisante voire totalitaire, mais comme le cadre d’une pluralité d’appartenance par lesquelles les Camerounais se soutiendraient dans un monde fait de contradictions. La puissance étatique imposera alors à ces appartenances d’être compatibles et établira entre elles des articulations fécondes. Ainsi, la nation ne sera plus à construire seulement par l’État, mais aussi par la société tout entière qui réalisera ainsi sa propre production unitaire par les possibilités d’expression et d’action qui lui seront ouvertes. Cette approche réaliste du problème de la construction nationale en Afrique nous semble une condition pour un avenir authentiquement démocratique et la stabilité de son ordre politico-territorial au Cameroun.
La politique en Afrique, op. cit., p. 150.