A. La dimension intrinsèque des fonctions vitales

Certaines conditions sont fondamentales pour tout être humain, en ce sens que leur présence ou leur absence est perçue comme une marque de présence ou d’absence de vie et de dignité humaine. Sans l’une ou l’autre d’entre elles, la personne est amputée d’une partie de ses potentialités, et privée dès lors d’une liberté réelle. En d’autres mots, certains biens ont une valeur intrinsèque ; c’est-à-dire que leur possession, indépendamment des préférences des personnes, est déterminante pour la dignité et la liberté des personnes. C’est ce que Sen qualifie de fonctions vitales (functionings)26. Les fonctions vitales renvoient à des besoins purement physiologiques, tels que l’accès à la santé - physique et mentale -, à l’éducation, à l’alimentation. Elles renvoient également à des besoins sociaux tels que le respect de soi, « se montrer en public sans honte » ou encore « participer à la vie de la communauté ». [Sen, 1999, pp. 163 sq.]. Une redistribution de revenus, estime Sen, ne peut résoudre les problèmes de pauvreté si elle n’est pas accompagnée d’une reconnaissance des capacités des gens à réaliser leurs fonctions vitales.

Si les fonctions vitales doivent être considérées de manière intrinsèque, indépendamment des préférences personnelles, c’est en raison de l’aspect subjectif des droits et de la dimension adaptative des préférences évoquée plus haut. La reconnaissance de ces biens intrinsèques rend d’autant plus complexe l’évaluation des inégalités. À partir du moment où les préférences personnelles sont jugées insuffisantes, comment est-ce possible d’évaluer les inégalités ? Pour répondre à cette question, Sen propose le concept de capabilités.

Notes
26.

La traduction française propose généralement le terme de fonctionnements, mais ce terme prête à confusion du fait d’une connotation très instrumentale. C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour le terme de fonction vitale, proposé par M. Mendell et D.G. Tremblay [1998].