B. Les impasses du communautarisme

C’est dans ces deux failles de l’universalisme libéral que se sont engouffrées les approches communautariennes. Les constats de départ sur lesquels elles s’appuient, nous allons le voir, sont parfaitement légitimes. En revanche, les préceptes normatifs qui en découlent sont difficilement acceptables.

1. Des critiques légitimes

La perspective communautarienne fonde sa légitimité sur la dénonciation des dérapages de l’universalisme abstrait, facteur d’aliénation, de déshumanisation et de déracinement. Les prémisses individualistes qui établissent la pensée libérale conduisent à des conséquences moralement insatisfaisantes, estiment les communautariens. L’État conçu par les libéraux – simple instrument de garantie des droits, détaché de toute forme d’allégeance personnelle ou communautaire –, est non seulement non viable (comment imaginer des individus acceptant des règles uniquement par intérêt personnel ?), mais destructeur des identités individuelles et collectives. Répétant en quelque sorte la critique des romantiques faite aux Lumières, ils dénoncent les effets sociologiques, politiques et culturels engendrés par les politiques libérales : l’égocentrisme individuel et le souci exclusif de soi, l’atomisation et la fragmentation du social [Barber, 1984], la revendication excessive de droits au détriment du sens des obligations et le retrait des citoyens de la sphère publique [Etzioni, 1993] ou encore l’« aliénation civique des citoyens » [Bellah, 1994].

Seule une politique « de la reconnaissance » ou encore « de la différence », peut permettre d’éviter les risques de dilution des appartenances culturelles, ethniques ou de sexe30. Partant du constat anthropologique selon lequel un être est ce qu’il est en vertu de son appartenance à un groupe, les communautariens en déduisent que tout être humain ne peut accomplir authentiquement sa liberté qu’à travers la participation à une communauté particulière. Valoriser l’appartenance à une communauté de culture et de tradition est la seule issue possible pour éviter les risques de fragmentation et préserver la diversité des identités. En outre, l’universalisme libéral, en se focalisant uniquement sur les droits individuels, a fini par évacuer non seulement les repères collectifs, mais aussi les notions de devoirs et d’obligations. Or si nous avons des droits, nous avons également une « obligation d’appartenance » [Taylor, 1997a].

Notes
30.

Il convient de préciser ici l’hétérogénéité des différentes positions au sein de la position communautarienne. On peut opposer d’un côté un communautarisme « dur », représenté par exemple par M. Sandel et A. MacIntyre, qui insiste avec force sur l’allégeance aux traditions, et de l’autre un communautarisme « modéré », représenté notamment par Ch. Taylor et M. Walzer, qui cherche surtout à valoriser les vertus républicaines classiques et de la participation politique directe.