B. Dépasser l’opposition entre justice globale et justice locale

Il est d’usage d’opposer les théories de la justice globales et normatives aux théories de la justice positives et locales, encore qualifiées de situées. Les partisans de la première catégorie - dans laquelle sont généralement classés Rawls et Sen -, aspirent à une justice universelle et se fixent pour objectif de déterminer un ou plusieurs principes de justice valables au-delà de la diversité des circonstances et des individus. Les partisans de la seconde catégorie plaident pour une approche contextualisée et s’attachent à décrypter le sens du juste au quotidien. Comment les personnes, dans leurs pratiques professionnelles ou personnelles, sont-elles amenées à prendre des décisions de répartition ou tout simplement à se justifier ?

Si l’on exclut de cette dernière catégorie les approches communautariennes, dont la démarche inductive consiste à défendre la pluralité de conceptions du bien et du juste en fonction des lieux et des groupes et à en déduire des préceptes normatifs, et que l’on s’en tient à des approches descriptives, il ne semble pas qu’il y ait opposition mais plutôt complémentarité. C’est dans cette optique que s’inscrivent les théories proposées par Luc Boltanski et Laurent Thévenot [1991] et Jon Elster [1992]. Cette hypothèse de complémentarité sera développée tout au long de la thèse ; nous nous contentons ici d’en présenter très brièvement les grandes lignes.