A. Les propriétés de l’« objet » monnaie : universalité, liquidité et fongibilité

Si la monnaie été choisie pour faciliter les échanges, c’est tout simplement en raison de ses qualités de commodité et de facilité d’usage, nous dit-on. Or, pour que les acteurs l’acceptent comme intermédiaire des échanges, il faut qu’elle possède trois propriétés essentielles : être acceptée par tous (universalité), immédiatement (liquidité), et quel que soit son support (fongibilité). La plupart des manuels et des dictionnaires d’économie définissent la monnaie de cette manière.

En premier lieu, on suppose qu’au sein d’une communauté de paiement, la monnaie est universellement acceptée et qu’elle permet d’acquérir tous les autres biens.

‘« dans la limite d’une société donnée : la monnaie représente une créance sur tous les membres d’une communauté de paiement, son exécution peut être poursuivie auprès de l’ensemble des agents qui offrent des biens et des services » [Bernard et Colli, 1996, p. 966].’

Albert Aftalion est peut-être de ceux qui ont poussé le plus loin cette hypothèse :

‘« Ce qui a fait dans les temps très anciens le succès de certaines marchandises comme instruments monétaires, ce qui commande aujourd’hui la fidélité des populations à la monnaie, c’est son pouvoir d’achat général. Pouvoir d’achat général à un quadruple égard :
- quant aux marchandises ou services qu’elle peut acquérir : elle s’échange contre toute espèce de marchandises ou services sans distinction ;
- quant aux opérations : elle sert à des milliers d’opérations, à toutes les opérations successives en nombre illimité ;
- quant aux personnes : pouvoir d’achat entre les mains de toutes les personnes successives qui la reçoivent, pouvoir qui se maintient quel que soit le nombre de ces personnes ;
- quant au temps aussi, par conséquent. Donc pouvoir d’achat d’une utilisation très étendue, très généralisée »62. ’

En second lieu, la monnaie est supposée représenter le plus haut degré de liquidité, la liquidité étant définie comme un avoir immédiatement disponible permettant d’honorer un engagement financier :

‘« Sans transformation, sans limitation, la monnaie est directement utilisable à l’extinction de toute obligation par simple remise matérielle de signes monétaires ou par simple jeu d’écritures » [Bernard et Colli, 1996, p. 735].’

Cette qualité de liquidité découle de celle d’universalité ; si la monnaie est parfaitement liquide, c’est parce qu’elle

‘« représente un droit de créance universel à l’intérieur d’une communauté de paiement et n’a d’autre raison d’être que la possibilité qu’elle assure d’être échangée contre un autre bien » [ibid, p. 966]’

En troisième lieu, la monnaie est supposée parfaitement fongible, la fongibilité étant définie comme

‘« le caractère des biens et des valeurs qui, répondant à des spécifications uniformes et n’ayant pas d’identité individuelle, peuvent être substitués les uns aux autres » [ibid, p. 735]. ’

Nul ne songe à nier ces trois propriétés ; de toute évidence, la monnaie telle qu’on l’utilise au quotidien, qu’elle soit matérielle, fiduciaire ou scripturale, possède, en partie, ces trois qualités. Mais elle ne les possède qu’en partie, et la nuance est de taille. Arguer du contraire a deux implications : d’un côté, cela revient à surestimer considérablement les qualités fonctionnelles monétaires, de l’autre, la dimension sociale de la monnaie et des différents instruments qui lui sont associés est complètement occultée.

Universalité, liquidité et fongibilité ne sont finalement que des idéaux-types [Courbis, Froment et Servet, 1990]. Comme tout idéal-type, ils isolent une partie de la réalité afin de la rendre plus intelligible. Mais dès que l’on entreprend de saisir la complexité et la richesse du réel, alors ils doivent être abandonnés. La moindre confrontation à la réalité suffit à nous en convaincre. L’observation des pratiques quotidiennes, dans des lieux et à des époques très diverses, enlève toute consistance à ces prétendues qualités monétaires : celles-ci sont plurielles et différenciées.

Notes
62.

Albert Aftalion (1948), La valeur de la monnaie dans l’économie contemporaine. Vol. 2 : « Monnaie et économie dirigée », Paris : Sirey, pp. 43-44, cité par J. Blanc [1998a, p. 186].