§1) L’origine de la monnaie

La monnaie est-elle un instrument marchand, issu de la dynamique des échanges, ou une création de l’État ? Aucune de ces interprétations, nous l’avons vu, n’est convaincante, pour la simple raison que la monnaie se situe précisément au croisement de la contrainte publique et du désir privé. Elle est contrainte publique,

‘« au sens où la monnaie découle de l’acte souverain de l’État, et c’est à ce titre qu’elle dispose d’un pouvoir libératoire et que la contrainte de paiement s’impose aux agents économiques d’une nation » [Orléan, 1995, p. 255]. ’

Elle est en même temps désir privé,

‘« un désir [...] qui dépend de la préférence pour la liquidité » [ibidem ]. ’

De cette première ambivalence en découle une seconde : la monnaie possède un double visage, à la fois fonctionnel et social. Elle représente d’abord un instrument essentiel de lutte contre l’incertitude et la rareté. Dans un contexte de surcroît caractérisé par une très forte incertitude, nul ne songe à ignorer cette dimension fonctionnelle. Mais elle possède également une propriété essentielle, qui ressort avec force de l’histoire et de l’anthropologie. C’est ce point que nous nous proposons de développer ici puisqu’il est beaucoup moins évident, la dimension fonctionnelle étant beaucoup plus explicitée dans des chapitres ultérieurs. Une approche institutionnaliste et pluridisciplinaire (A) nous apprend que la monnaie n’est pas née pour faciliter le troc, elle s’enracine dans l’histoire des sociétés car elle est un élément essentiel de normalisation et de reproduction des rapports sociaux, notamment entre sexes (B). Revenir sur son émergence montre dans quelle mesure elle n’est qu’une partie de la finance (C).