B. La construction sociale des sphères marchande et monétaire

Tous les échanges marchands ne sont pas médiatisés par la monnaie, et tous les échanges monétaires ne sont pas marchands. Par conséquent, si l’on définit la sphère monétaire comme l’ensemble des biens et services susceptibles d’être compensables par de la monnaie, sphères marchande et monétaire ne se recoupent que partiellement. Si l’on exclut les services et les transferts redistributifs, il reste que la sphère marchande est en partie délimitée par la sphère monétaire. Elles partagent une frontière commune, liée à la définition éthique des relations.

Quels sont les biens et les services susceptibles d’être échangés sur la base de prix, quels sont ceux qui ne le sont pas ? Qu’un bien ou un service soit susceptible d’être échangé sur la base d’un prix requiert trois conditions. Il importe tout d’abord que le bien ou service échangé soit commensurable, au sens de mesurable et de comptabilisable. Il importe ensuite que le bien soit aliénable, c’est-à-dire que sa transmission d’une personne à une autre soit autorisée. Il importe enfin que cette transmission soit compensable par de la monnaie.

Ces trois conditions délimitent la sphère des biens et services susceptibles d’être marchands. Comment sont-elles déterminées ? S’impose en premier lieu une contrainte d’ordre pratique. Ainsi la question de la commensurabilité pose problème pour les biens naturels78 (comment mesurer l’air que les personnes respirent ?) ou collectifs (comment mesurer les consommations personnelles pour un bien collectif comme l’éclairage ?). Entre en jeu également, et peut-être surtout, une dimension éthique : pour qu’un bien soit marchand, il est nécessaire que soit considéré comme légitime le fait que ce bien ou ce service soit commensurable, aliénable, et compensable par de la monnaie. C’est ici qu’une des frontières de la sphère marchande est commune avec celle de la sphère monétaire. Cette délimitation n’est pas définie a priori, elle est encore moins universelle. Elle est le fruit d’une construction sociale, c’est-à-dire propre à chaque société, et cette construction résulte de considérations à la fois culturelles et politiques. Cette construction est culturelle, au sens où il faut bien déterminer des règles en référence à des valeurs et à des normes. Cette construction est également politique, en entendant par politique ‘« la manière dont une société décide dans le conflit la forme de son unité et de sa singularité » [Caillé, 1998, p. 141]’.

Notes
78.

On appelle biens « naturels » ou « libres » les biens disponibles et dont la production ne nécessite aucun travail humain.