C. La monnaie comme institution sociale

Au sens large, la notion d’institution peut être définie de la manière suivante :

‘« Institution est un terme générique en résonance avec les notions d’organisation, de communauté, de groupement, de collectif ; de règles morales religieuses, laïques ou juridiques ; de valeurs, de conventions, de normes. Il s’agit encore de conduites, d’activités privées ou collectives — ainsi que leurs supports — et, en amont, de manières de faire, de penser, de percevoir même [...] Une fois filtrée la polysémie du concept d’institution, il reste l’idée d’un ensemble de ‘règles du jeu’ sociales ou d’une communauté particulière, allant des coutumes au droit où à la constitution d’une nation » [Corei, 1995, p. 8-9]. ’

Elle ne se réduit pas à un instrument, mais à un « ensemble de règles », écrit André Orléan [1998, p. 360], et cet ensemble de règles ‘« détermine l’appartenance de chacun à la société marchande » [ibidem’]. Objet d’arbitrages perpétuels entre finalités sociales et privées, compromis entre contraintes collectives et calcul individuel, ‘« médiation entre logique individuelle et nécessité de la reproduction sociale »’, c’est en cela que la monnaie doit être comprise comme une institution sociale [Maucourant, 1994, p. 263].

Au-delà de la multiplicité de réalités que recouvre le concept d’institution, une première spécificité réside dans sa régularité et sa stabilité. On parle à cet égard de fait institué : l’institution se présente comme une pratique durable et établie. Une seconde spécificité réside dans sa dimension dialectique : l’institution est à la fois contrainte des comportements et résultats de ceux-ci. Elle représente un ensemble de règles qui s’imposent aux personnes ; toutefois ces règles sont en permanence remodelées par les pratiques des acteurs. De la dimension dialectique résulte enfin une troisième spécificité : l’institution est un processus dynamique. Cette dynamique est impulsée par les pratiques quotidiennes ; elle est également impulsée par des groupes d’acteurs.

Pratique durable et établie, déterminant les comportements tout en étant déterminée par eux, et par conséquent susceptible de se modifier au cours du temps : à l’issue de ce premier tour d’horizon des pratiques monétaires, la monnaie semble bien détenir ces trois propriétés et nous aurons l’occasion de les décrire dans la suite de la réflexion.

Il est temps de redonner leur place aux acteurs : l’usage de la monnaie dépend, en dernier lieu, de ce que les personnes en font. Si la manière dont chaque société définit l’accès à la monnaie et son usage représente un cadre quelque peu contraignant et qu’il convient de prendre en compte, il importe ensuite d’analyser comment, au quotidien, les acteurs acceptent et s’adaptent à ce cadre, éventuellement le font évoluer. La notion d’appropriation monétaire vise à exprimer cette interaction entre pratiques personnelles et contraintes collectives.