Conclusion du chapitre

Reconnaître la monnaie comme une institution sociale permet de sortir de la dualité autorité / produit marchand dans laquelle l’approche économique a tendance à s’enfermer. En tant qu’institution, la monnaie se présente comme un ensemble de règles imposées aux acteurs, mais que ceux-ci s’approprient. Si les règles et les normes sociales guident le processus d’appropriation, ce sont les acteurs eux-mêmes qui, en dernier ressort, décident de l’usage qu’ils en font.

En nous appuyant sur divers travaux visant à déconstruire une conception purement fonctionnelle de la monnaie, nous avons proposé une grille de lecture de ce processus d’appropriation s’appuyant sur deux dimensions. La première est d’ordre fonctionnel ; elle est d’autant plus marquée que l’on s’intéresse aux actes de personnes en situation précaire. Dans un contexte débordant d’incertitude, l’usage de la monnaie répond à une volonté de sécuriser le quotidien et de stabiliser l'aléatoire. La seconde est d’ordre social : l’accès à la monnaie comme son usage, expriment et infléchissent à la fois l’appartenance des personnes. L’appartenance de sexe en est une forme, mais elle n’est pas la seule. On retrouvera à cet égard la pluralité de mobiles évoquée au chapitre précédent, et les conflits internes que cette pluralité est susceptible de provoquer.

L’impasse à laquelle nous conduisent les approches instrumentales de la monnaie découle, finalement, de deux lacunes : le fait de considérer une monnaie unique, alors qu’il n’y a, en réalité, que des pratiques monétaires, le fait de considérer l’usage de la monnaie de manière statique, alors que toute pratique monétaire s’inscrit nécessairement dans le temps, et qu’elle est donc consubstantielle au lien financier qui la supporte.

Au total, nous faisons l’hypothèse qu’une conception anthropologique et institutionnaliste de la monnaie, d’une part rend les pratiques beaucoup intelligibles, d’autre part confère à l’analyse une toute autre portée, puisque à travers l’analyse des pratiques, c’est la globalité des trajectoires des personnes qui est restituée. Cette analyse est même temps beaucoup plus minutieuse et beaucoup plus ardue, puisqu’il faut décortiquer l’usage des différents flux et reconstituer leur inscription dans le temps ainsi que dans les relations sociales dans lesquelles ils sont imbriqués. Le mode de collecte des données est donc soumis à des contraintes spécifiques : la complexité et la subtilité des pratiques ne peuvent être saisies qu’à travers une approche à microéchelle. C’est l’objet du chapitre suivant de préciser la démarche adoptée.