B. Les réactions de la clientèle de la Poste face au passage à l’euro

Une troisième étude, commanditée par la Mission recherche de la Poste, portait sur les réactions de la clientèle de la Poste face au passage à l’euro. Trois axes étaient privilégiés au départ : établir une typologie des réactions de l’ensemble de la clientèle, identifier les facteurs potentiels de blocage et les catégories à risque, identifier le rôle potentiel du personnel lors de la transition. L’ensemble de la clientèle était visé, mais très vite nous nous sommes focalisés sur trois catégories : personnes âgées, personnes en situation précaire, personnes d’origine étrangère et parmi ces trois catégories, les femmes, particulièrement mal à l’aise vis-à-vis de cette nouvelle monnaie. L’ensemble des résultats de cette étude ne sera pas repris ici, mais seulement deux conclusions : l’euro comme illustration de la dimension sexuée de la monnaie et l’importance de la qualité des relations bancaires dans les pratiques monétaires et financières des personnes en situation précaire. Ici encore, l’objet d’étude exigeait une démarche en deux étapes. Les réactions vis-à-vis de l’euro ne sont intelligibles que resituées dans les trajectoires personnelles et dans les rapports noués par chacun avec la monnaie et avec la société dans son ensemble. L’euro, en tant que futur instrument de tous les jours, fait ressortir avec force les incertitudes liées au quotidien. Mais l’euro est aussi un enjeu collectif économique, social, et politique : il exprime donc la manière dont chacun vit son appartenance, se situe et se projette au sein de ce dessein collectif. Les réactions négatives ne font que révéler et catalyser des malaises multiples et préexistants. La démarche a donc été la même que dans les deux études déjà citées.

• Une première étape s’est focalisée sur l’analyse des mécanismes d’appropriation de la monnaie. Confrontant les points de vue de la clientèle et du personnel, cette première étape a privilégié trois aspects :

• Ce n’est que dans une seconde étape ( les deux étapes ayant été mêlées au sein des entretiens) qu’il a été envisageable d’anticiper les déstabilisations et le rôle de médiateur potentiel du personnel de La Poste.

Cette recherche a été basée sur une démarche participative, au sens où elle a été réalisée en étroite collaboration avec le personnel de la Poste. Deux raisons ont présidé à ce choix. La première concernait tout simplement l’accès à la connaissance. De par l’expérience acquise au contact de leur clientèle, certaines catégories de personnel (guichetiers, conseillers financiers, agents d’accueil et préposés, notamment en milieu rural) sont porteuses d’un savoir d’une richesse inestimable. Outre l’implication du personnel dans un comité de pilotage chargé de suivre l’étude, cette démarche participative a pris la forme de tables-rondes, organisées en début de recherche, visant à poser des hypothèses de départ. Par une méthode de type brain-storming, deux thèmes ont été abordés : les difficultés de la clientèle au quotidien et les difficultés anticipées lors du passage à l’euro. Les hypothèses issues de cette réflexion collective ont permis d’accélérer considérablement la recherche.

La seconde raison était d’ordre pédagogique : impliquer le personnel dans le processus de recherche semblait le meilleur moyen de le sensibiliser aux conséquences économiques, sociales et psychologiques du changement de monnaie susceptibles d’affecter la clientèle.

Dans le cadre de cette étude, ont été menés 67 entretiens auprès de la clientèle et 40 entretiens auprès du personnel. Les entretiens ont été couplés avec l’observation des pratiques au sein des bureaux de Poste. Du fait de la spécificité des bureaux de Poste en fonction de leur localisation géographique, milieux rural, urbain et urbain « difficile » ont été distingués.

Tableau 3. Étude des réactions de la clientèle de la Poste face à l’euro. Détail des données empiriques collectées
Mode de constitution de l’échantillon Objectifs
2 tables-rondes avec le personnel de la Poste
réalisées avec la participation de Gilles Malandrin et David Vallat (Centre Walras, CNRS-Université Lyon 2)
Appel à volontariat au sein des bureaux de Poste Élaborer des premières hypothèses
68 entretiens individuels de type récits de vie
réalisés avec la participation d’Ababacar Dieng et Gilles Malandrin (Centre Walras, CNRS-Université Lyon 2)
Constitution progressive de l’échantillon (68 au total dont 51 femmes)
Identifier les problèmes préexistants
Identifier l’ensemble des réactions possibles face à l’euro
Identifier les différents types de relations nouées avec le personnel de la Poste
Identifier l’ensemble des facteurs potentiels de blocages
Clientèle « normale » (définie simplement par opposition aux clients « à risque » définis ci-dessous 23 (7 hommes, 16 femmes)
Clientèle vivant de prestations sociales 23 (4 hommes, 19 femmes)
Clientèle âgée (au-delà de 60 ans) 16 (6 hommes, 10 femmes)
Clientèle d’origine étrangère (maghrébine, africaine) 6 femmes
40 entretiens semi-directifs auprès du personnel de la Poste
réalisés en collaboration avec Gilles Malandrin (Centre Walras)
Constitution progressive de l’échantillon (40 dont 20 femmes) tenant compte :
des différents statuts du personnel (chefs d’établissements, guichetiers, conseillers financiers, préposés)
des différents types de bureaux (urbain, urbain « difficile », rural)
Identifier les différents types de relations nouées avec leur clientèle
Identifier les facteurs de blocage anticipés par le personnel
Observation
Bureaux choisis en fonction de leur localisation (urbain, urbain « difficile », rural) Confronter discours et pratiques
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Carte 1. Les lieux d’enquêtes au Sénégal
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Carte 2 Les lieux d’enquêtes dans le Nord de la France
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Carte 3 Les lieux d’enquêtes dans le département du Rhône
Tableau 4. La collecte des données empiriques. Présentation des trois terrains.
Cadre Étude d’impact d’un dispositif de microfinance féminin mis en place par le Crédit mutuel du Sénégal Étude d’impact d’un dispositif d’aide à la gestion (les « Écoles de consommateurs ») Étude des réactions de la clientèle de la Poste face au passage à l’euro
Commanditaire Association française des Volontaires du Progrès et Fonds européen de développement (bailleurs de fonds et partenaires opérationnels du projet) Centre régional de la consommation Région Nord-Pas-de-Calais (promoteur du projet) La Mission recherche de la Poste
Lieu Région de Thiès / Sénégal Région Nord-Pas-de-Calais / France Région lyonnaise / France
Durée et dates
de l’étude
Juillet 1996 – mai 1997 Mars 1998- octobre 1998 Mars 1998- octobre 1998
de la collecte des données Octobre 1996 – mars 1997 Juillet 1998 Mars 1998- octobre 1998
Termes de référence Pratiques monétaires et financières des femmes et rôle de ces pratiques dans leur trajectoire entrepreneuriale
Impact d’un dispositif de microfinance en termes :
- économiques (augmentation des revenus),
- de trajectoire entrepreneuriale (modification des stratégies),
- sociaux (changement de statut, modification des rapports sociaux de sexe)
Pratiques monétaires et financières des membres du dispositif (95% de femmes), facteurs de difficultés
Impact du dispositif d’aide à la gestion en termes :
- de gestion,
- d’amélioration des relations administratives et bancaires,
- de confiance en soi, de « mieux-être »)
Identifier les différentes réactions de la clientèle face au passage à l’euro
Identifier les facteurs potentiels de déstabilisation
À partir des relations existantes avec le personnel de la Poste, identifier le rôle potentiel du personnel lors de la transition
Hypothèses testées et utilisées Les pratiques monétaires et financières comme mode de gestion de l’incertitude et comme mode d’appartenance sociale
La dimension dynamique de ces pratiques
Le rôle d’un groupe de femmes comme espace de médiation dans l’accès à l’autonomie et à la société civile La dimension sexuée de la monnaie ; Le rôle des relations bancaires dans les pratiques monétaires et financières des personnes en situation précaire
Notes
100.

Au cours du travail de thèse, d’autres enquêtes de terrain ont été réalisées. Elles n’ont pas été utilisées directement mais ont très largement nourri la réflexion :

- enquêtes effectuées auprès de paysans camerounais (octobre-novembre 1996), dans le cadre d’une étude de faisabilité relative à la mise en place d’un système d’épargne-crédit, étude  réalisée pour une ONG camerounaise (le CIPCRE) ; cette étude a servie de base à notre mémoire de DEA [Guérin, 1996]

- enquêtes effectuées auprès des Systèmes d’échange locaux français (printemps 1997) dans le cadre d’une étude réalisée pour la Caisse des dépôts et consignations ; 35 entretiens ont été effectués auprès de membres du SEL de la Garrigue (Hérault), et une quinzaine de SEL ont été visités ; les résultats de cette enquête sont repris dans un Working paper [Guérin, 1997a], ainsi que dans un ouvrage collectif [Servet (ed), 1999].

- enquêtes effectuées auprès des pratiques financières des migrants sénégalais en France (hiver 1997-1998), dans le cadre d’une étude réalisée pour la Direction des populations et des migrations [Dieng et Guérin, 1998].

- enquêtes effectuées auprès de dispositifs de microfinance français (1998-1999), dans le cadre de deux programmes de recherche, l’un soutenu par la Région Rhône-Alpes, l’autre par le Bureau international du travail [Guérin et Vallat, 1998a ; 2000a] ; ces enquêtes se poursuivent actuellement dans le cadre d’une étude soutenue par la Caisse des dépôts et consignations.

- enquêtes effectuées auprès de dispositifs de microfinance de la ville de Montréal (mai 1999) dans le cadre du programme « aires culturelles » du ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur [Guérin, 1999a].