§1. Le choix d’une échelle d’observation

L’échelle choisie oriente l’observation et la nature des faits observés. Chaque échelle met en évidence certains phénomènes et en occulte d’autres. Ce qui est visible à une échelle disparaît à l’autre. Ce choix n’est pas donc pas arbitraire, il dépend de ce qu’on cherche à observer. On oppose généralement les échelles micro et macro. Plutôt que de les opposer, il est toutefois plus pertinent de les penser en des termes complémentaires.

En effet, à une macroéchelle, on observe des régularités sociales, ce qui se passe en termes de structure de classe, de sexe, de génération, de culture. On identifie la régularité des attitudes, des opinions, des comportements. Cette échelle d’observation va de pair avec des enquêtes quantitatives, qui obéissent aux règles de la statistique et de l’économétrie ; c’est la seule garantie de fiabilité. Ce type de données est incontournable. Ainsi les rapports du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de la Banque mondiale, ou encore du Bureau international du travail, ont mis en évidence la féminisation de la pauvreté ; le nombre croissant de femmes chefs de famille et les discriminations sexuelles en matière d’accès à l’emploi et de rémunération, d’éducation, de nutrition, de santé, de propriété, etc. Même si la fiabilité des données laisse encore une part d’incertitude, les progrès considérables de la statistique autorisent les comparaisons internationales. En outre, ces dernières années, les critères de comparaison des « niveaux » de développement ont été considérablement élargis. Sous l’influence notamment des travaux de Sen, ils intègrent de plus en plus de critères sociaux, ce qui leur donne beaucoup plus de sens.

En France, les Données Sociales de l’INSEE et les enquêtes du CREDOC fournissent des données indispensables pour analyser les pratiques de consommation, d’épargne, d’endettement, pour décompter la pauvreté, les catégories fragiles, plus ou moins précaires, pour évaluer les « degrés » de pauvreté et le ciblage des catégories a priori les plus menacées par cette fragilité, ou encore pour analyser le profil des bénéficiaires des différentes prestations sociales.

En revanche, saisir des régularités statistiques ne rend guère compte du sens ou de l’intention des acteurs. L’observation se limite aux résultats des prises de décision. On sait qu’il y a 156 000 femmes bénéficiaires de l’Allocation parent isolé en France en 1998, qu’elles ont entre 23 et 45 ans en moyenne, qu’elles vivent davantage dans les villes [INSEE, 1999]. En revanche, comment vivent-elles et perçoivent-elles l’allocation ? En font-elles le même usage que s’il s’agissait d’un salaire ? On observe que les femmes burkinabées affectent aux dépenses familiales une part plus importante de leurs revenus que leurs époux [Lachaud, 1998]. Est-ce une question de préférences ou de contraintes ? Est-ce que cela traduit un souci d’autrui, une intériorisation du sens de l’obligation ou tout simplement l’absence de choix ? C’est à une microéchelle qu’il faut descendre pour observer les pratiques et les processus de décision des acteurs.