Les deux discriminants les plus importants dans l'adhésion à l'euro et dans le degré de confiance sont l'aisance financière et la catégorie socioprofessionnelle. Vient ensuite l’appartenance de sexe. Depuis quelque temps, on observe que si le taux d’adhésion progresse doucement, subsiste une différence d’environ dix points entre le taux d’adhésion masculine et le taux d’adhésion féminine : 52% pour les premiers contre 43% pour les secondes fin 1995, 56% contre 46% à l’automne 1996 (sondage Eurobarometre 45 et 47), 59% contre 50% en octobre 1999 (sondage MEFI/CSA).
Ce constat peut s’expliquer ainsi. D’abord, ce sont tout simplement les femmes, en majorité, qui gèrent le budget familial quotidien et qui sont chargées des courses d’alimentation. Elles sont donc les premières confrontées aux déstabilisations susceptibles d’être engendrées par la nouvelle monnaie, et notamment à la nécessaire reconstruction d’une échelle de valeur. Ensuite, leur système de représentations, issu de leur pratique et de leur expérience quotidienne, les rend moins sensibles aux arguments évoqués par les politiques et les médias154.
Comme tout savoir scientifique, le savoir économique ne se transmet pas tel quel. Il crée des savoirs nouveaux qui sont nécessairement simplifiés et adaptés aux modes de connaissance de chacun ; on assiste ainsi à différentes formes d’ « appropriation » selon les groupes sociaux [Vergès, 1997]. Est-ce possible de repérer des logiques communes d’appropriation ? On aurait tendance à croire qu’elles sont étroitement liées au niveau de formation. Celles-ci ne jouent en fait qu’un rôle mineur. En revanche, la pratique est déterminante, c’est ce que mettent en évidence diverses recherches réalisées au cours des années soixante-dix et quatre-vingt par Jean-Marie Albertini et Pierre Vergès :
‘« À partir de son expérience, de sa pratique sociale au sens large du terme, chacun d’entre nous se constitue une grille d’analyse de la réalité dans laquelle il vit. C’est, en quelque sorte, son idéologie pratique. Elle lui permet de comprendre le monde qui l’entoure, d’en parler, et finalement, de guider son action » [Albertini et Vergès, 1977, p. 13]. ’La pratique est essentielle pour les raisons suivantes : elle constitue un espace de référence ; elle est le lieu où se mettent en oeuvre les représentations [Vergès, 1997, p. 413].
Enfin, les représentations économiques peuvent être classées selon deux axes : le premier tient compte du degré de complexité et de généralisation, le second du mode d’articulation avec des domaines non économiques [Vergès,1997].
Nous nous appuyons ici sur une étude réalisée pour la mission recherche de La Poste. Le contexte de l’étude et le mode de collecte des données a été décrit au chap. 3, et les principaux résultats sont résumés en annexe 2. Voir également Guérin et Servet [1999]. Rappelons simplement que dans le cadre de cette étude, 68 entretiens, de type semi-directif, ont été réalisés auprès de la clientèle de la Poste (17 auprès d’hommes, 51 auprès de femmes) ; ont également été réalisés 40 entretiens auprès du personnel.