C. Une prise de distance à l’égard des obligations communautaires

Simultanément, on constate, tant de la part des hommes que des femmes, une certaine volonté de distanciation vis-à-vis des obligations communautaires. Entre autres lamentations sur la « crise », le manque récurrent d’argent et de moyens, l’État qui ne fait rien - lamentations occupant une bonne part des palabres et discussions quotidiennes -, il n’est pas rare d’entendre aussi, notamment de la part des jeunes, le « poids de la famille », les « ‘parents qui te submergent et t’envahissent »’, qui ‘« t’écrasent », « t’empêchent de respirer »’. Ce discours quotidien se traduit de manière tout à fait objective par une diminution des personnes à charge. En 1976, le travailleur dakarois avait deux personnes en âge de travailler à sa charge ; en 1995, ce taux est de 1,4²³⁵. Concernant les femmes, divorces, choix du célibat et migration vers la ville sont autant de décisions prises de plus en plus à leur initiative, en Afrique de l’Ouest en général [Bisilliat (ed) 1996 ; Coquery-Vidrovitch, 1994], et au Sénégal en particulier [Bop, 1996]. L’âge du mariage est passé de 13 à 16 ans au cours des dernières décennies. À Dakar, une femme sur cinq de 30 à 35 ans est célibataire et on remarque une augmentation sensible du concubinage et du nombre de grossesses hors-union. L’instabilité des mariages, observée dès le début des années quatre-vingt [Diop, 1985] est en progression, sans qu’il soit possible de la chiffrer précisément [Bop, 1996]²³⁶.

Ce sont ces deux constats, attitude plus pragmatique par rapport au travail, prise de distance à l’égard des obligations communautaires, que nous proposons d’éclairer. Il convient dans un premier temps de définir plus précisément ce que l’on entend par « obligations communautaires » ; une analyse en termes de conventions et de Grandeurs en autorise une vision dynamique. Nous verrons ensuite plus en détail les trajectoires féminines.