C. L’illégitimité des obligations communautaires et la rupture de l’équilibre

Respecter ses obligations reste, a priori, le seul moyen de se prémunir contre l’incertain et d’accéder aux richesses. Une condition essentielle est nécessaire pour que le système fonctionne : les ressources doivent être suffisamment abondantes pour qu’il y ait une réelle redistribution [Marie, 1995a]. Que se passe-t-il lorsque la communauté n’assume plus son rôle de protection ? L’ensemble repose sur un équilibre entre les dominants et les dominés, les aînés et les cadets, les hommes et les femmes. Que se passe-t-il lorsque les dominants n’assument plus leur rôle d’ange gardien du groupe, lorsque les aînés, du fait d’un chômage persistant, ne sont plus en mesure de redistribuer ce qu’ils ont accumulé ? Que se passe-t-il lorsque les hommes n’assument plus la protection matérielle de la famille, alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à développer des activités génératrices de revenus ? Que se passe-t-il lorsqu’« investir » dans la communauté n’est plus un gage de protection et d’assurance contre les hasards de l’avenir ? Jusqu’à quel point peut-on envisager un déséquilibre ? En d’autres mots, que se passe-t-il lorsque l’arbitrage entre efficacité et égalité n’est plus acceptable ?

Refuser toute obligation n’est pas pensable. L’État n’est pas en mesure d’offrir une protection équivalente. En outre, les forces centrifuges (sorcellerie notamment) évoquées plus haut, déjouent toute esquisse de rupture. Par contre, une remise en question partielle est envisageable : des formes d’individualisme « relatif » sont susceptibles d’émerger [Marie, 1995a]. Simultanément, l’intervention massive d’ONG de toutes sortes, chargées de soulager les « coûts sociaux » de l’ajustement structurel, offre de nouvelles formes de protection. Elles font désormais partie du paysage institutionnel. Elles procurent aussi de nouvelles ressources de négociation aux acteurs, notamment aux femmes, population privilégiée par les programmes d’aide au développement [Kandioty, 1998].

L’équilibre communautaire est alors remis en question de l’« intérieur », c’est-à-dire par les acteurs eux-mêmes, dans la mesure où il n’est plus acceptable. Une période transitoire commence, susceptible de donner lieu à la redéfinition de l’arbitrage. Cette période de « flottement » ouvre des opportunités ; il se met en place un processus de renégociation des règles, dont l’issue dépend de la faculté des différents groupes sociaux à faire valoir leurs intérêts. C’est ainsi que l’on peut saisir la dynamique des trajectoires entrepreneuriales féminines.