Section 3. La dynamique des trajectoires entrepreneuriales féminines : compromis et capacité d'organisation collective

« On ne peut plus avoir confiance en personne » (gaañi keen mënu leena woolu) s’exclament régulièrement les femmes. « Compter d’abord sur soi » est le seul moyen de s’en sortir, disent-elles encore. Ceci ne les empêche pas de « garder l’esprit de famille » (bëgg mbokk) ; c’est impensable (lu muy jomb)253 d’y contrevenir, à moins de tomber dans la « déchéance sociale ». Par contre, rien n’interdit de « sélectionner » les relations, d’éviter celles « qui ne rapportent rien », l’interprétation du terme « rapporter » étant laissée à la discrétion de l’interlocuteur. Ainsi, les femmes n’hésitent pas à distendre et à assouplir les liens qu’elles estiment trop contraignants en imaginant des techniques de contournement ; elles n’hésitent pas non plus à les manipuler, voire à les reformuler pour mener à bien leurs activités et tout simplement, pour « s’en sortir ». On assiste en quelque sorte à un processus d’individualisation qui se nourrit de la recomposition des obligations communautaires, tant les obligations familiales que religieuses. Cette recomposition est largement facilitée et soutenue par une dynamique collective. Historiquement, c’est précisément pour assumer ces deux types d’obligations (cérémonies familiales et allégeance religieuse) que la plupart des groupes féminins se sont constitués. Que constate-t-on aujourd’hui ? L’enracinement social et religieux des groupements subsiste, tout en s’élargissant de plus en plus vers des activités génératrices de revenus (§1). Il n’y a pas substitution, mais plutôt complémentarité et compromis, et c’est au sein de ce compromis que se déploient les trajectoires entrepreneuriales féminines (§2).

Notes
253.

Plus précisément, l’expression lu muy jomb désigne un comportement que personne ne peut s’abaisser à faire quel qu’en soit le prix.