§2. Gérer le quotidien : cloisonner et prendre des engagements

Comment les femmes parviennent-elles à gérer cet « empilement » de dettes ? ‘« Chacune y pense »’, disent-elles, « on travaille avec ça dans la tête ». Quand il y en a trop, « tu te limites toi-même », mais il en reste toujours, « c’est sur cette espérance que nous travaillons ». Si l’on note, le plus souvent, un amalgame fréquent entre dépenses familiales et charges commerciales, en déduire une absence de comptabilité serait toutefois erroné. Bien au contraire, si l’on tente de reconstituer la circulation des flux, on observe une comptabilité très fine, même si elle est rarement écrite. Simplement, elle obéit à d’autres logiques et d’autres priorités. Si la confusion entre gestion domestique et professionnelle peut laisser penser une totale fongibilité, il n’en est rien car toutes les sources de revenus ne bénéficient ni de la même élasticité, ni du même usage. Si l’absence de contractualisation donne le sentiment de pratiques financières qui n’obéissent qu’à l’intuition et au gré du moment, il n’en est rien non plus, car dettes et créances sont souvent très hiérarchisées. Cette hiérarchisation ne provient pas forcément de leur montant ou de leur échéance, mais du degré d’obligation qui les sous-tend ; certaines sont malléables à merci, d’autres ne supportent aucune flexibilité. S’il est délicat de la retranscrire à l’aide des documents comptables classiques, il reste que la gestion est basée sur un principe, parfois intangible, de cloisonnements (A). Enfin, si la priorité donnée aux exigences communautaires donne à croire que ni individualité ni projet personnel ne sont possibles, certaines pratiques sont spécifiquement conçues, et de plus en plus semble-t-il, pour limiter autant les pressions que les tentations et permettre aux femmes de stabiliser leur activité (B).