B. Les relations bancaires

Cette disjonction se manifeste également au niveau des relations avec les banques. Une enquête mêlant données quantitatives et qualitatives, réalisée auprès du personnel de la Poste, montre qu’une large partie des problèmes rencontrés provient de malentendus et d’incompréhensions [Gadrey et alii, 1996]321. On observe des problèmes de langage vis-à-vis des personnes d’origine étrangère, mais il s’agit aussi de traduire des termes techniques (débit, crédit, découvert, compte chèque, compte courant, etc.). On observe également que la réglementation bancaire et plus précisément la complexité du vocabulaire administratif et juridique suscitent de nombreuses complications. Les membres du personnel de la Poste sont les premiers à le reconnaître : c’est ainsi qu’ils expliquent une grande part des problèmes de surendettement de leur clientèle ; selon bon nombre d’entre eux, la non connaissance des règlements et des procédures en cas de problème aggrave fortement les situations de litige322. Comme pour les factures, les découverts bancaires sont autant liés à des déficiences d’anticipation qu’à des défauts de compréhension des procédures (par exemple, ce que signifie le taux d’intérêt) ou encore à une incapacité à négocier en cas de problème.

Au total, on assiste à une véritable distance entre les femmes et leur environnement institutionnel. Cette distance se traduit par un sentiment d’arbitraire, de vulnérabilité et de sujétion. Se met alors en place un cercle vicieux puisque, du fait de ces ressentis négatifs, les femmes tendent à prendre encore davantage de distance. Le problème dépasse alors largement une simple dimension cognitive. À travers le rapport à l’institution, c’est le mode d’appartenance sociale des femmes qui est en jeu, la manière dont elles se représentent leur situation d’assistée. On en vient à la seconde dimension évoquée au départ : la dimension émotionnelle des pratiques.

Notes
321.

Cette enquête est issue d’un lourd travail d’investigation empirique visant à décomposer les différentes prestations du personnel de la Poste et à évaluer les « coûts sociaux » liés à une clientèle en situation précaire. Les observations ont représenté 60 heures aux guichets, 80 heures dans les modules des Centres régionaux des services financiers pour l’analyse des appels téléphoniques et pour l’observation du travail sur les courriers, et 20 heures de suivi de tournées de préposés. Le temps passé à régler malentendus et incompréhensions a été évalué à 2,3% du temps total de travail du personnel.

322.

Ces observations sont issues d’une étude éffectuée pour la Mission recherche de la Poste au sujet du passage à l’euro, à partir d’enquêtes réalisées auprès du personnel ainsi que de table-ronde (voir chap. 3, sect. 2).