§1. La dimension inégalitaire et subjective des relations bancaires

Étudiant l’évolution de l’offre bancaire et des relations avec la clientèle au cours des dernières décennies, Jean-Marie Canu s’est attaché à montrer l’aspect inégalitaire du processus [Canu, 1995]. Après une phase de « démocratisation » de la bancarisation (entre les années soixante et soixante-dix), les exigences de concurrence et de compétitivité ont conduit les banques à « privatiser » leur offre. À la période des « guichets debout » et de la consommation bancaire « de masse », succède une relation personnalisée entre banquiers et clients, dont la forme dépend non seulement des revenus de ces derniers, mais également de leurs aptitudes au marchandage et à la contestation. Michèle Salmona [1990] lorsqu’elle compare les relations banquiers / clients de plusieurs milieux sociaux, confirme l’aspect inégalitaire de cette relation. Ainsi, au sein d’une population de jeunes travailleurs, ceux qui ont des ressources et des diplômes ont toujours su régler leurs difficultés avec les banques ; ils savent discuter, négocier et ainsi rattraper les incidents qui ont pu survenir. En revanche, les jeunes ayant un faible niveau d’éducation

‘« sont terrassés lorsqu’on les interdit de chèque ou de carte. Ils ne tentent même pas de discuter de la validité de cette interdiction lorsqu’il y a, semble-t-il, contestation possible » [Salmona, 1990, p. 34-35]. ’

Citons également les travaux de Christine Roland-Lévy [1992, 1996] sur les relations entre banquiers et clients et sur les représentations sociales qui leur sont sous-jacentes. L’analyse lexicale des discours et des associations de mots montre que la perception de la banque est variable selon les revenus et selon la nature des relations financières : considérée comme un lieu de négociation pour les hauts revenus, elle suscite davantage un sentiment de méfiance chez les ménages modestes [Roland Lévy, 1996]. De manière schématique, plus les ménages sont aisés, plus les relations s’inscrivent dans une relation commerciale ; inversement, moins les ménages sont aisés, plus les relations s’inscrivent dans une relation fonctionnelle. La relation de dette est avant tout subjective et elle joue un rôle déterminant sur le comportement de l’emprunteur : sa propension à emprunter, son vécu de la dette, sa propension à rembourser. Selon Christine Roland-Lévy, le banquier peut être considéré comme

‘« une figure projective très intense et donc de multiples scénarios peuvent voir le jour à l’insu des deux protagonistes, et influencer bien au-delà d’une simple qualité de relation le déroulement même du remboursement » [Roland Lévy, 1996, p. 35]. ’

D’une relation envisagée comme hiérarchique découle un sentiment de méfiance, d’appréhension, voire de ‘« peur du banquier » [ibid p. 34-35]’. Se sentir reconnaissant envers le banquier favorise le remboursement ; par contre lorsque l’emprunteur se sent « animé d’une sorte de tyrannie victime d’un banquier usurier », cette image légitime alors « son scénario intérieur à ne pas rembourser » [Roland-Lévy et Baud, 1998, p. 33].