B. Les partenariats entre associations et collectivités locales

Le pluralisme garantit le respect des intérêts individuels et évite les risques de coercition de l’État qui tenterait d’imposer sa propre conception du bien. Une fois que l’on a reconnu la nécessité du pluralisme, encore faut-il imaginer des moyens concrets et réalisables permettant de lui donner corps. C’est à cette tâche que se sont attelés divers travaux, réunis lors d’un colloque organisé par le Commissariat général au plan au début des années quatre-vingt-dix [Affichard et de Foucault (eds), 1995]350. À l’issue d’une réflexion pluridisciplinaire, la première conclusion était la suivante : ‘« les chemins de l’intégration sont multiples et [...] les responsabilités méritent d’être ‘démultipliées’ » [Affichard et Foucault (de), 1995, pp. 24-25]’. Pour mettre en oeuvre cette démultiplication, les auteurs plaident en faveur d’un ‘« recours à toutes les formes d’actions associatives, dans la mesure où leur diversité peut donner un contenu effectif au pluralisme » [ibid, p. 24]’. Favoriser un « ancrage communautaire » ainsi qu’assurer l’adéquation et l’adaptation des principes de justice nationaux aux exigences et aux particularités locales, sont les deux qualités escomptées de l’action associative.

En France, le milieu associatif351 a toujours joué un rôle majeur, complétant l’intervention étatique là où celle-ci n’était pas en mesure d’intervenir, révélant des demandes sociales non prises en compte [Laville, 1997], se glissant dans

‘« les interstices de ce système afin de répondre aux risques sociaux qu’il n’avait pas prévus : le handicap, la pré-délinquance, la drogue, l’exclusion, le sida, la dépendance, la désertification, etc. » [Archambault, 1999, p. 13]. ’

Le dynamisme dont le milieu associatif témoigne depuis une dizaine d’années confirme l’existence d’une réelle demande sociale. Entre 1990 et 1995, alors que les secteurs primaire, secondaire et tertiaire standardisé manifestent une apathie évidente en matière de création d’emploi, l’emploi associatif fait preuve d’une vitalité surprenante352. Dans la même période, alors que les formes d’engagement traditionnelles (politique, syndicat) s’essoufflent [Briant (de) et Palau, 1999], la mobilisation des bénévoles associatifs s’accroît de 10% par an, et la progression est particulièrement forte dans les services sociaux [Archambault, 1999, p. 8]. Si le milieu associatif confirme donc son rôle historique de « suppléance ou de complément de protection sociale », celui-ci, précise Édith Archambault, se déploie aujourd’hui dans un contexte inhabituel : celui de la décentralisation, qui suscite de nouvelles formes de partenariats et de coopération [ibid, p. 13]. Restées longtemps hostiles du fait de la méfiance ancestrale d’un État jacobin, les relations entre pouvoirs publics et milieu associatif se sont timidement améliorées tout au long de ce siècle pour aboutir aujourd’hui à une réelle coopération. Même si les partenariats établis ne sont pas sans conflits ni sans compromissions, il reste que l’on assiste aujourd’hui à une forme de régulation relativement nouvelle, reposant sur une certaine division des responsabilités entre pouvoirs publics et milieu associatif : le premier « fournit les services standardisés à l’ensemble de la population », tandis que le second

‘« produit des services personnalisés à l’intention de groupes minoritaires ou de populations en danger, ainsi que ceux qui impliquent un soutien moral et des relations avec la famille de la personne concernée » [Archambault, 1999, p. 14]. ’

L’une des conséquences les plus marquantes de ce partenariat réside dans l’implication du milieu associatif

‘ « dans la définition, l’expérimentation et la mise en oeuvre des politiques sociales récentes, comme ce fut le cas pour la loi de 1975 sur les droits des personnes handicapées, celle de 1988 instaurant le RMI, la loi de 1998 de lutte contre l’exclusion sociale » [ibidem]. ’

C’est particulièrement le cas dans les domaines de la lutte contre la pauvreté et de la réhabilitation des banlieues [Archambault, 1996, p. 180]. Le milieu associatif se présente à la fois comme un puissant véhicule du bien commun et comme un moyen de compléter la justice redistributive :

‘ « hybrides entre le secteur public et le secteur privé lucratif entre lesquelles elles tracent un continuum, les organisations sans but lucratif agissent en tantôt en représentants ou en médiateurs des intérêts et des idéologies qui coexistent dans la société, tantôt en fournisseurs de biens collectifs impurs ou à dimension locale » [Archambault, 1999, p. 14].’

Une fois ces caractéristiques communes identifiées, la diversité des réalités associatives est telle que continuer de parler de « milieu associatif » au sens large n’a guère de sens. Certaines associations sont présentes sur tous les continents, tandis que d’autres ne dépassent pas l’échelle du quartier. Certaines associations comportent une mission d’intérêt général, tandis que d’autres ne visent que l’intérêt de quelques particuliers. Certaines associations ne sont qu’une externalisation de services publics, d’autres fonctionnent comme de véritables entreprises, d’autres encore ne se déploient que dans le domaine du non monétaire. En termes de taille et de budget, de finalité, de dépendance à l’égard des pouvoirs publics comme à l’égard de la concurrence marchande, d’ouverture sur l’extérieur et d’intégration dans des réseaux, la réalité associative recouvre une multiplicité de visages353. Édith Archambault distingue six domaines principaux : les quatre premiers - éducation, culture et loisir, recherche, santé et services sociaux - représentent à eux seuls 50% du poids économique du secteur -, les deux autres méritent d’être pris en compte de par leur importance « symbolique » : ce sont les associations civiques et de défense des droits, ainsi que les associations de défense de l’environnement [Archambault, 1996].

Pour notre part, nous nous sommes centrés sur une forme associative tout à fait particulière que l’on peut qualifier de médiatrice : elle se déploie uniquement à l’échelle locale et avec des moyens humains et financiers limités, et se situe à la jonction d’intérêts particuliers et de l’intérêt général, ainsi qu’au croisement des domaines des services sociaux et de la défense des droits.

Notes
350.

Il faisait suite à un premier colloque, organisé également par le Commissariat général au plan et consacré aux inégalités [Affichard et Foucault (de), 1992].

351.

L’association est définie en France par la loi de 1901 comme « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager les bénéfices ». Elle s’inscrit en cela dans le secteur « sans but lucratif », qui comprend également les mutuelles et les coopératives, encore qualifié de « tiers secteur », par opposition au marché et à l’État.

352.

Le secteur sans but lucratif a longtemps été occulté du fait des conventions du système international de comptabilité nationale. Le programme de recherche John Hopkins, à partir de comparaisons internationales dans plusieurs pays du Nord, vise à « combler cette lacune statistique afin d’accroître sa visibilité et de le situer dans son contexte historique, juridique et politique » [Archambault, 1999, p. 3]. Ce secteur recouvre toutes les organisations ne distribuant pas de profit (s’il y a profit, il est réinvesti), mais aussi formelles (déclarées), privées (au sens de distinctes de l’État, ce qui n’empêche pas des financements publics, mais exclut toute association para-administrative), et enfin indépendantes (au sens où elles ont leurs propres instances de décision) [Archambault, 1996, pp. 5-6]. En 1995 en France, l’emploi salarié du secteur sans but lucratif représentait 960 000 salariés en équivalent temps plein, soit 4,9% des emplois rémunérés. On note entre 1990 et 1995 une croissance de 19,5% (soit un taux de croissance annuel de 3,6%). Cette tendance s’explique par le fait que les emplois créés concernent des services relationnels personnalisés. Elle s’explique également par la politique de l’emploi aidé dont bénéficie le milieu associatif [Archambault, 1999, p. 7] Enfin, cette vitalité ne doit pas occulter la fragilité d’une partie des emplois ainsi créés [ibid, p. 13].

353.

Voir à cet égard la typologie proposée par V. Tchnernonog et M. Le Guen [2000].