A. Une dialectique entre les pôles du singulier et du collectif

L’autonomie exprime tout d’abord un besoin d’individualisation, au sens d’une reconnaissance des particularités de chacun, au sens d’un détachement à l’égard de normes jugées parfois oppressantes. Mais elle ne saurait se construire sans appartenance à un collectif, à un espace d’interconnaissance et de reconnaissance mutuelle qui aide à formuler les choix de chacun et à valider ces choix. C’est précisément par cette difficulté à concilier les pôles de l’individuel et du collectif que pêche le libéralisme, entendu ici au sens d’un vaste mouvement de reconnaissance et d’affirmation des droits et des libertés personnels. Comme le soulignent Sylvie Mesure et Alain Renaut,

‘« le libéralisme contemporain se doit de corriger ses propres dérives et trouver un moyen de réintégrer dans le collectif aussi bien les individus que les groupes » [Mesure et Renaut, 1999, pp. 198-199]. ’

Si les dérives d’une société atomisée et individualiste sont patentes, il reste, comme le suggère Jean-Baptiste de Foucault, que l’on « ne peut pas obliger les gens à rester entre eux lorsqu’ils ne se supportent pas ou lorsque le coût économique ou psychologique est trop élevé », et l’auteur en déduit que ‘« quelque chose est à inventer entre le collectif et l’individuel » [Foucault (de), 1995, p. 261]’.

‘« Pour favoriser l’autodétermination, écrit encore Will Kymlicka’,

‘« une culture doit se caractériser tout à la fois par un niveau suffisant d’imprégnation et d’enracinement dans les pratiques existantes, et une capacité de s’en distancier et de les critiquer » [Kymlicka, 1999, p. 244]. ’

C’est précisément ce que vise la notion de médiation : en se déployant entre le pôle du singulier et le pôle du collectif, l’espace de médiation autorise le partage d’une certaine communauté de valeurs tout reconnaissant les spécificités de chacun.

Cet espace se présente comme une alternative au milieu d’appartenance, permettant ainsi une prise de distance tout en offrant la possibilité de se construire une autre identité :

‘ « individualiser et intégrer : mener ensemble ces deux dynamiques ; car il y a un dynamisme qui distingue, empêchant la confusion, en même temps qu’il y a un dynamisme qui rapproche, suscitant le lien ; et les deux dynamismes ont, non seulement à coexister, mais à concerter » [Six, 1995, p. 262]. ’

En assurant cette forme de médiation, l’appartenance associative répond aux risques d’atomisme et de fragmentation du libéralisme, sans tomber dans les écueils du communautarisme. Elle a cette particularité de relever à la fois du principe sociétaire et du principe communautaire, en s’appuyant sur deux notions étroitement mêlées de liberté et d’obligation à travers lesquelles se réalisent des intérêts communs [Caillé, 1997]. De par sa capacité à combiner l’adhésion volontaire avec une dimension intersubjective des rapports sociaux, à relier l’usage de la raison et l’inscription à une commune humanité, à concilier l’appartenance commune et l’affirmation des individualités, à tisser des relations personnelles qui transcendent les attaches naturelles, elle peut être comprise comme une réalité « sociocommunautaire » [Laville, 1997, p. 51].

Cette articulation n’est jamais acquise, toute expérience associative est confrontée à ce défi permanent qui consiste à concilier intérêts personnels et finalité collective. Ce premier axe de médiation doit nous permettre de décrire la réalité des expériences tout en se prononcant sur leur légitimité : toute action collective étouffant les aspirations personnelles peut être considérée comme illégitime, toute action collective qui n’est qu’un agrégat d’intérêts individuels est vouée à la dissolution.